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malheureusement de leur devoir de combattre souvent les mesures proposées par le gouvernement, ne pouvaient en cette occasion que remercier, au nom du pays, le chancelier de l’échiquier pour la parfaite justesse de vues et l’admirable précision de son exposé. Après lui vint sir Grey Cooper, qui avait été seize ans secrétaire de la trésorerie, et qui rendit le même hommage au travail de Pitt. Enfin, Fox lui-même exprima en termes formels son adhésion, et le plan de Pitt devint loi de l’état.

La force de l’opinion fut telle en sa faveur, que pas un des créanciers privilégiés ne réclama. Cette révolution, qui paraissait impossible, entreprise à propos, s’accomplit avec une facilité extraordinaire. Avant cette époque, l’Angleterre avait déjà deux budgets : l’un qui se composait des dépenses obligatoires et des recettes préparées pour y pourvoir, l’autre qui se composait des subsides spéciaux votés annuellement. Cette distinction fut maintenue et en quelque sorte fortifiée par le plan de Pitt. On a quelquefois proposé d’établir en France la même distinction ; le désir de conserver une parfaite uniformité dans les finances publiques a fait maintenir la formalité du vote annuel pour toutes les recettes et dépenses indistinctement. En fait, cette formalité est illusoire, pour les dépenses du moins, car en France comme en Angleterre il y a des dépenses nécessaires et des dépenses facultatives ; mais, avec l’organisation actuelle des finances françaises, rien n’en rend, à proprement parler, la suppression nécessaire, tandis que, du temps de Pitt, la consolidation avait une signification considérable.

Une difficulté plus politique que financière, mais qui cependant devait donner lieu à l’ouverture d’un nouveau crédit, fut résolue presque en même temps. Les dettes du prince de Galles devenaient de plus en plus criantes. George III, homme d’ordre, d’économie, de mœurs régulières, n’aimait pas ce fils, qui se livrait avec emportement à toutes les dissipations de la jeunesse ; de son côté, le prince de Galles, rebuté par la sévérité de la cour de son père, s’entourait de tous les hommes prodigues et débauchés qui formaient l’opposition. Une lutte fort vive s’engagea dans les communes au sujet des dettes du prince ; Pitt refusa d’abord de les payer, et, soutenu dans sa résistance par le roi lui-même, il ne céda que lorsque le prince eut promis de vivre à l’avenir plus convenablement. Jamais peut-être Pitt n’avait montré plus de fermeté et d’esprit politique ; il avait su résister et céder à propos et concilier dans une juste mesure le respect dû à l’héritier du trône avec la dignité du gouvernement. Il en fut récompensé dès l’année suivante, quand George III perdit la raison. Cette crise, une des plus graves qu’ait jamais traversées une monarchie constitutionnelle, présente peut-être la plus belle page de l’histoire d’Angleterre ; on vit la nation, placée entre un roi fou et un prince déconsidéré, se