Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/674

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
668
REVUE DES DEUX MONDES.

corait. On donne facilement ce titre en Belgique à d’épaisses maisons blanches, bâties à l’extrémité d’une pelouse, et laissant s’arrondir sur leurs flancs les arbres d’un parc. Moins maltraitée que le château, la ferme d’Hougoumont est redevenue habitable, quoiqu’il n’y eût pas beaucoup d’habitans quand je m’y introduisis. Le mur extérieur, qui relie le château et la ferme, n’a reçu aucune réparation depuis la bataille de Waterloo, depuis la sombre matinée où cette enceinte, d’abord muette et inoffensive en apparence, devint tout à coup une galerie de meurtrières homicides. Ces meurtrières existent encore. Dans ces trous qui vomissaient une grêle de balles et tuaient les Français à tout coup, j’ai vu, vivant dans une sécurité profonde, de jolis lézards, couchés entre du lichen, des liserons et des mousses rosés et argentées. On sait que Napoléon, s’étant enfin aperçu que ce combat accessoire paralysait une partie de ses forces, dont il avait besoin ailleurs, s’écria : « Quelques canons, huit obusiers, et que cela finisse ! Voici le point (il l’indiqua sur une carte) par où il faut attaquer. » On obéit, et à l’instant tout fut fini. Le château croula dans les flammes aux cris lamentables des blessés des deux nations. À la guerre, c’est une manière d’en finir.

Il était environ trois heures : j’entrai dans cette propriété si tragiquement historique. Personne dans la première cour pour me répondre. Les gens de la ferme sont aux champs, pensai-je ; je m’avançai pourtant vers d’autres corps bâtimens construits à la droite du château. J’entendis alors un murmure de voix ; j’avançai encore, et je finis par me trouver devant un immense magasin à fourrage, dont on avait laissé à dessein les portes à demi ouvertes, afin d’attirer de l’ombre et de la fraîcheur à l’intérieur, car la chaleur devenait excessive. On se disputait terriblement dans cette espèce de halle. Comment cela n’eût-il pas été ? C’étaient des Flamands, parlant, criant, s’injuriant en flamand avec leurs grandes bouches torses, leur nez grotesque, leur teint de bière, signes caractéristiques qui n’ont pas varié depuis Teniers et Van Ostade. J’étais tombé au milieu d’un tableau de l’école hollandaise de grandeur naturelle. Rien n’y manquait, ni la pipe écourtée, ni les verres à côtes, ni les pots de bière écornés, ni le bonnet tombant sur le front pour se relever, sur l’oreille, et ces accessoires contribuaient merveilleusement à renforcer la couleur locale, complétée par le sujet même de la querelle. Je ne le saisis pas bien d’abord ; mais, les efforts de l’attention aidant, je finis par le deviner. Deux cages étaient posées en face l’une de l’autre sur une poutre élevée à hauteur d’appui. Dans chacune de ces cages étaient deux gentils serins des Canaries, d’une assez belle espèce, au corsage élancé, au plumage jaune pâle, mais plus maigres que ne le sont d’ordinaire ces jolis oiseaux d’un autre climat.