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rouages viennent augmenter le nombre de ces corps inanimés qui travaillent à la place de l’homme et au profit de l’homme.

Chaque siècle a une idée morale dominante. Quelle est l’idée morale en faveur dans notre temps ? L’idée, ou pour parler plus correctement le désir dominant de notre époque, c’est le désir du bonheur. Il nous obsède tous, il absorbe toutes nos pensées, c’est le but vers lequel se tournent toute notre activité, nos ambitions et nos élans. Autrefois les hommes s’égorgeaient pour leur religion ; aujourd’hui, sur toute la surface de l’Europe, ils luttent pour s’arracher mutuellement le bonheur. Autrefois ils mouraient pour leur patrie, aujourd’hui ils meurent volontiers pour la conservation de leurs jouissances et la conquête de leurs plaisirs. Venise et la Hongrie ne sont que des exceptions à cette règle générale. Les principes démocratiques, que les hommes de notre temps invoquent hypocritement, leur sont fort indifférens et ne sont que des masques sous lesquels ils cachent leur amour effréné, leur rage insensée du bonheur. Cela est si vrai, que le sens du mot égalité a complètement changé, et que, dans la langue de la presque universalité des humains, soit qu’ils combattent contre, soit qu’ils combattent pour, égalité signifie satisfaction égale des besoins. De mandez à ce publiciste, qui chaque matin réclame l’égalité, ce qu’il prétend exiger de la société. Demandez à cet ouvrier ce qu’il veut dire lorsque, d’un air mystique, il laisse tomber devant vous ces mots : L’égalité est encore bien loin ! Demandez à ce bourgeois ce qu’il redoute lorsqu’il vous déclare que l’égalité est impossible. Au XVIe siècle, il y avait des savans qui se volaient mutuellement des manuscrits et commettaient une foule de délits en l’honneur de la science ; aujourd’hui, des turpitudes sans nombre se commettent sous l’invocation du mot bonheur. Ce désir a envahi maintenant toutes les classes de la société ; c’est une course au clocher haletante, fiévreuse, pleine de périls, fertile en émotions et surtout sans fin précise, ce qui en double le charme. Or, le désir du bonheur est le fond primitif de la nature humaine ; c’est le premier élan de l’homme, c’est son dernier regret, c’est l’élément principal des passions, c’est en un mot ce qu’il y a de plus terrestre, c’est ce que les anciens théologiens flétrissaient sous le nom de concupiscence, c’est ce que le christianisme a combattu, ce que la sagesse de tous les temps a flétri, ce que les lois retiennent, modèrent et punissent comme étant l’élément le plus dissolvant des nations, c’est le désir dominant à la naissance et à la mort des sociétés, à Otahiti et dans la Rome impériale.

Maintenant, quel est l’objet de l’activité de notre temps ? L’industrie. Elle est entrée partout, elle a annonce nettement son avènement, elle est aujourd’hui la reine de la société. Tout indique qu’elle va dominer