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pavillon britannique n’a plus besoin de la protection du monopole ; il peut désormais accepter sans danger la concurrence des marines étrangères. Aussi le ministère se sent-il en droit de parler de la confiance où il est que l’esprit d’entreprise, la puissance et la hardiesse de la nation lui assureront une large part dans le commerce du monde, et maintiendront sur les mers son ancienne renommée.

C’est avec des sentimens moins fiers que le discours de clôture effleure la question d’Irlande, toujours plus douloureuse et plus lourde pour l’Angleterre à mesure que les sacrifices se multiplient. Le rate in aid, cet impôt qui a été dans les derniers temps appliqué à l’Irlande, n’a réussi qu’à augmenter le désarroi des propriétaires et à aggraver, par suite, la misère des populations. C’est un spectacle déchirant et unique dans le monde que celui qui s’offrirait aux yeux de la reine, si elle consentait, dans le voyage qu’elle accomplit en ce moment à Dublin, à pénétrer un peu jusqu’au cœur du pays. M. Rœbuck, qui ne pèche point par tendresse, a eu beau dire récemment que l’Angleterre est lasse de jeter des millions dans cette sébile incessamment tendue ; les dons se renouvellent sous toutes les formes. Et comment échapper à cette nécessité ? Deux cent mille hommes fussent morts de faim l’année dernière, a-t-on dit, si l’argent de l’Angleterre ne fût intervenu. Si l’on en croyait M. Disraeli, l’Angleterre, de son côté, ne serait pas en voie de s’enrichir. Les réformes introduit par sir Robert Peel dans les tarifs auraient porté une funeste atteinte à la fortune publique.

Cette thèse d’opposition, qui a donné lieu l’un des débats les plus brillans de l’année, enveloppait sir Robert Peel et le ministère dans une même critique. On a donc interrogé de part et d’autre la statistique. Les réductions de tarif opérées sur les objets de consommation populaire sont pour l’industrie anglaise des moyens de rivaliser plus avantageusement que jamais avec la concurrence étrangère sur tous les marchés du monde, et, quant aux réductions relatives aux produits manufacturés, elles ne favorisent que ceux qui sont bien complètement hors d’état de faire concurrence aux produits de l’industrie anglaise. Tels sont les deux points sur lesquels sir Robert a fait porter la défense de cette grande mesure par laquelle il a illustré sa dernière administration. Le ministère, secondé en cette circonstance par ce puissant allié, qui n’est plus guère séparé des whigs que par des souvenirs, a eu peu d’efforts à ajouter à ces considérations pour faire justice de la statistique de M. Disraeli. M. Disraeli, qui songeait très fort autrefois à être le promoteur d’un torysme poétisé qu’il appelait la jeune Angleterre, se consolera de cet échec en s’unissant de jour en jour plus étroitement avec le pur torysme.

Bien que la session qui vient de finir ait montré plus d’un symptôme de transformations possibles dans les vieux partis anglais, l’Angleterre défie non point seulement la révolution, mais jusqu’à l’esprit d’innovation politique. La majorité a immolé l’une après l’autre toutes les propositions qui avaient pour but de développer les droits constitutionnels. L’on conçoit dans une certaine mesure le respect profond dont les whigs eux-mêmes entourent l’antique monument de la constitution ; mais il est plus difficile de s’expliquer comment, sous le régime d’une liberté si ancienne dans un pays de protestantisme et de libre examen, la tolérance religieuse a si grand’peine à devenir un principe de