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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/733

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SACS ET PARCHEMINS.

le visage de M. Levrault s’épanouir comme une pivoine, maître Jolibois ajouta :

— Le vicomte de Montflanquin ne se mariera jamais.

— Pas possible ! s’écria M. Levrault.

— Et pourquoi ? demanda Laure en souriant. Le vicomte de Montflanquin est-il entré dans l’ordre des chevaliers de Malte ?

— Mademoiselle, reprit Étienne Jolibois, c’est une simple et touchante histoire, qui voudrait être racontée par une voix plus poétique que celle d’un pauvre notaire de province. Le vicomte Gaspard de Montflanquin avait vingt-deux ans à peine ; il aimait une jeune fille, noble comme lui, belle comme vous, Mlle Fernande Edmée de Chanteplure. Tous ceux qui l’ont connue s’accordent à dire que jamais créature plus adorable ne posa le pied sur la terre. Aussi Gaspard adorait Fernande. Sa passion était partagée, et Fernande adorait Gaspard. La veille du jour où ils devaient s’unir, ces deux beaux enfans se promenaient sur le bord de la Sèvres avec le marquis et la marquise de Chanteplure. Fernande était suspendue, comme une liane, au bras de sa mère ; Gaspard et le marquis les suivaient à quelque distance. Le marquis avait la goutte et marchait difficilement ; Gaspard le soutenait avec la sollicitude d’un fils. Tout à coup des cris perçans se font entendre. Gaspard vole, et qu’aperçoit-il ? Mlle de Chanteplure se tordant les bras sur la rive, et Fernande se débattant dans la rivière. En voulant cueillir un nénuphar, son pied avait glissé, et le courant l’entraînait vers les écluses d’un moulin. Que fait Gaspard ? Il se jette à l’eau ; plus rapide que le courant, il saisit Fernande d’une main de fer, la dispute au flot ravisseur, l’arrache aux dents de la roue qui allait broyer son corps charmant, et, après des efforts surhumains, la ramène évanouie sur le bord. Fernande, hélas ! ne se réveilla pas. Déjà les pâles violettes de la mort étaient répandues sur ses lèvres. Vous pouvez vous représenter la douleur du marquis et de la marquise ; rien ne saurait vous donner une idée du désespoir de Gaspard. Agenouillé près de sa fiancée, il l’épousa solennellement dans son cœur, et, prenant le ciel à témoin, jura de lui rester fidèle ; Gaspard a tenu son serment.

— L’histoire est touchante, dit Laure. C’est un héros de roman, le vicomte de Montflanquin.

— Je vous l’ai dit, mademoiselle, c’est un caractère antique : ses pareils ne se trouvent que dans Plutarque.

— Bah ! bah ! s’écria M. Levrault ; le vicomte de Montflanquin finira par se marier.

— Vous ne le connaissez pas, monsieur, repliqua Jolibois avec fermeté. Les plus riches partis, les partis les plus magnifiques lui ont été offerts, car vous pensez bien que ce ne sont pas les occasions qui lui manquent ; il les a tous refusés sans pitié.