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avec une admirable mesure. Il a laissé sa constitution politique se développer naturellement. En la réparant et la perfectionnant sans cesse, il en a toujours vénéré avec un sentiment pieux et fier les fondemens antiques. Sa révolution suprême a été une révolution conservatrice. Il a réalise tous les progrès en respectant toutes les traditions. Il a suivi, sans la dénouer, la chaîne des temps. Il marche à la tête de la civilisation du XIXe siècle sans avoir jamais rompu avec les formes historiques du moyen-âge. Il est le peuple le plus avancé de l’Europe, et, par la fidélité qu’il a gardée au passé, il en paraît être le peuple le plus ancien. Et aujourd’hui, quand, au milieu de l’écroulement universel, on voit l’Angleterre seule paisible et stable accueillir avec la même sécurité, sur ses rivages hospitaliers, tous les naufragés des tempêtes révolutionnaires, les têtes découronnées et les échappés de barricade, qui lui refuserait l’hommage d’admiration que tous les penseurs politiques de la France lui ont rendu avec jalousie depuis Philippe de Comines jusqu’a Mirabeau ?

M. Macaulay est vraiment né pour tracer cette victorieuse histoire. Sa carrière active, remplie, facile, brillante, heureuse, a été une préparation naturelle au livre qu’il vient de commencer. Un des plus brillans élèves de l’université de Cambridge, un des rédacteurs les plus éclatans de la Revue d’Edimbourg, le patronage aristocratique le porta tout jeune au parlement. Il fut un des orateurs éminens de la chambre des communes ; il y eut une autorité sans rivale sur les questions d’histoire parlementaire, si importantes dans un pays qui a pour constitution, non un texte rédigé, bâclé, imprimé, broché, que l’on met dans sa poche et qu’on jette au panier tous les quinze ans, mais son existence nationale tout entière formulée dans son histoire. M. Macaulay quitta quelque temps l’Angleterre pour aller occuper un des premiers emplois du gouvernement de l’Inde. Il revint, et fit partie des ministères de lord Melbourne et de lord John Russell. Il était représentant d’Edimbourg ; la bigoterie de ses commettans ne lui pardonna point son vote libéral en faveur des catholiques à propos du bill de Maynooth, et lui ferma aux dernières élections la chambre des communes. Lui-même il est volontairement sorti du ministère depuis une année. Homme politique, M. Macaulay a donc manié les ressorts de la grandeur de son pays. Ecrivain, il applique au passé la sagacité historique, la seconde vue rétrospective qu’on acquiert dans les grandes affaires. Par tradition philosophique, il appartient à ce libéralisme intelligent et généreux, à cette vieille école des whigs que les noms de Fox, de Mackintosh, de lord Holland, ont rendue si sympathique en France. De sa culture littéraire, large, profonde, universelle et raffinée, il tient cette faculté plastique qu’on appelait goût autrefois, qu’on appelle aujourd’hui sentiment d’art, et qui répand sur les œuvres de l’esprit l’achèvement