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Tel ne fut point en Angleterre le caractère de la noblesse. L’aristocratie politique et la noblesse de race y furent distinctes l’une de l’autre, et la nation fut divisée en deux parts : l’aristocratie et la commonalty ; mais cette aristocratie héréditaire admise au partage du pouvoir politique ne fut point une caste exclusive et insolente. Les membres de la commonalty y pouvaient arriver, et les branches cadettes de l’aristocratie retournaient dans la commonalty. Tout gentleman pouvait devenir pair ; le fils cadet d’un pair n’était que gentleman. Quant à la noblesse de race, honorée par l’opinion, elle n’apportait cependant en elle-même aucun droit à l’aristocratie politique et n’offensait le reste de la nation d’aucune distinction privilégiée. On voyait des hommes nouveaux revêtus des plus hauts titres du royaume, tandis qu’à côté d’eux les descendans des familles les plus anciennes, les fils des Normands et des croisés, des hommes qui avaient du sang royal dans leurs veines, n’ajoutaient à leurs noms que la commune désignation de squire, et ne jouissaient d’aucun droit civil qui n’appartînt au plus humble des paysans. Aussi, en Angleterre, les haines de caste furent inconnues : le fermier ne pensait point à se révolter contre des dignités qui pouvaient appartenir un jour à ses fis ; le grand seigneur n’avait garde d’insulter une classe dans laquelle ses propres enfans devaient rentrer. Les guerre des York et des Lancastre avaient décimé l’aristocratie féodale et avaient infusé du sang nouveau. Il y avait cinquante-trois pairs au parlement convoqué, en 1451, par Henri VI ; il n’en restait que vingt-neuf au parlement réuni, en 1485, par Henri VII, et sur ces vint-neuf plusieurs venaient d’être élevés à la pairie. Enfin, les fils des lords, les membres de la gentry ou la noblesse non titrée, et les bourgeois des villes commerçantes qui se rencontraient dans la chambre des communes y perpétuaient le rapprochement et la fusion des classes, en sorte, comme le dit M. Macaulay, que la démocratie anglaise a toujours été la plus aristocratique, et l’aristocratie anglaise la plus démocratique du monde. On comprend que cette nation unie et compacte ait pu disputer ses libertés à l’ambition fougueuse et hautaine des Tudors ; mais aussi, avec un tact admirable, ces princes surent toujours reculer au moment où ils sentirent que leurs prétentions se heurtaient à d’invincibles résistances. Lorsque Henri VIII, par exemple, voulut imposé des taxes sans le concours du parlement, quelques comtés s’étant soulevés, Henri céda, retira son édit, pardonna aux révoltés et s’excusa solennellement d’avoir violé les lois. De même, lorsqu’à la fin du règne d’Elisabeth, la chambre des communes murmura contre les monopoles commerciaux que l’orgueilleuse reine distribua à ses favoris, Elisabeth se rendit aux réclamations de ses sujets, redressa l’abus, et avec une souveraine habileté, félicita les communes de leur sollicitude pour le bien public.