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domination qu’elle exerçait depuis tant de siècles sur le royaume de Hongrie à titre de conquête. Voila le but fatal auquel les évolutions pacifiques du principe de nationalité conduisaient inévitablement la race magyare. Assurément, le moyen d’échapper à cet arrêt du destin, ce n’était pas de remettre la querelle au jugement des armes. Les Magyars n’avaient rien à gagner à l’envenimer par l’emploi de la force, après l’avoir trop long-temps irritée par des paroles d’intolérance. Ils ne pouvaient, en faisant un appel à la guerre, que rendre irréconciliables ces haines anciennes, si menaçantes pour leur avenir.

On se rappelle que les patriotes hongrois, qui ne songeaient point sans inquiétude à cet avenir, crurent possible, après la révolution de mars, de conjurer le péril par de grandes concessions aux peuples qui avaient été jusqu’alors leurs sujets. On les vit, empruntant aux législateurs de l’Occident les principes libéraux issus de la révolution française, proclamer l’égalité des droits civils et politiques. Au lieu d’attirer les Slaves et les Valaques, cette concession les repoussait ; ce qu’ils demandaient, ce n’était point cette égalité qui les incorporait et les mêlait à tout jamais à la race magyare : c’était l’égalité et l’autonomie de chaque nationalité, c’était la substitution d’un lien purement fédéral au lien de vassalité et de conquête, par lequel ils étaient enchaînés plutôt qu’unis au royaume. Les Magyars offraient à leurs sujets la démocratie. Le présent était riche ; mais ceux-ci exigeaient davantage. M. Kossuth, qui représentait la pensée des Magyars, porta un défi aux Slaves ; ceux-ci le relevèrent avec l’empressement de l’homme qui saisit une occasion long-temps et impatiemment attendue. Les Slaves ont donc combattu pour empêcher la formation d’une Hongrie unitaire, pour dissoudre l’ancienne unité hongroise, en un mot pour couper la Hongrie en quatre portions, suivant les races. Est-ce clair ? Les Slaves et les slavistes ont voulu qu’il y eût sur les ruines du royaume hongrois une Magyarie, une Croatie, une Transylvanie et une Slovakie. Sauf à se rattacher ensuite à d’autres combinaisons, les Croates, les Transylvains et les Slovaques ont voulu s’isoler entièrement, irrévocablement, de la race magyare. L’Autriche s’est prêtée, dans l’origine, à ces légitimes desseins, à cette pensée vraiment libérale ; elle a promis aux Croates et aux Transylvains l’indépendance qu’ils sollicitaient ; elle a constitué les Serbes du Banat, qui peuvent et devraient s’adjoindre à la Croatie ; enfin elle a eu deux fois l’intention, deux fois abandonnée, de soulever les Slovaques pour les soustraire eux-mêmes à l’unité hongroise bien qu’on ne puisse les organiser à part aussi facilement que les Croates.

Si l’Autriche accueillait avec tant de complaisance les vœux des populations hostiles aux Magyars, c’est que dans une certaine limite elle y trouvait aussi son compte. Il serait trop généreux, nous le savons bien, d’en faire un mérite à son désintéressement. L’Autriche, au moment où elle se voyait menacée de mort par un prodigieux mouvement de décentralisation, était tout occupée à rechercher un lien qui pût retenir ensemble les membres du vieil empire près de se disloquer. Elle avait cru trouver ce lien dans l’idée d’une fédération qui, réunissant chaque peuple autour de la dynastie allemande, laissât pourtant à chacun une certaine autonomie provinciale et de fortes municipalités. Cette idée ne déplaisait pas aux Croates ni aux Bohêmes, ni même aux Polonais parce qu’en les réunissant les uns aux autres dans un parlement central, on assurait une immense influence à la race slave dans l’empire d’Autriche. Le