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fixé sur le livre comme s’il y eût été retenu par un charme ; ses lèvres prirent un sourire contemplatif et harmonieux.

Et l’amante et l’amant, sur l’aile du génie,
Montent d’un vol égal à l’immortalité,


déclama-t-elle à mi-voix comme entraînée par le besoin de faire partager une émotion trop vive.

— William, fit-elle après un moment de silence pendant lequel elle avait fermé lentement le livre et s’était mise à regarder son amant d’un air enthousiaste et recueilli, n’est-ce pas que ces vers-là sont beaux et qu’ils rendent vos secrets désirs ? Quelle grande et charmante image que ce couple amoureux qui monte à l’immortalité sur l’aile du génie ! Ces vers pourraient vous inspirer un groupe, William : sur une figure ailée, sur un ange au front étoilé qui représenterait le génie, vous pourriez jeter deux êtres, un poète et sa maîtresse. Je voudrais que le poète eût votre noble front ; peut-être donneriez-vous à sa compagne quelque chose de mes traits. Tous deux s’enlaceraient, et…

Ici l’impatience de Simpton éclata. – Ce serait, dit-il, une chose bizarre que ces deux êtres assis sur un ange. Je ne suis pas fou des vers de Lamartine ; je trouve qu’ils renferment, comme beaucoup de vers malheureusement, une image que ni pinceau ni ciseau ne saurait exécuter. Du reste, peut-être suis-je en disposition mauvaise et brutale ; mais j’avoue que de l’immortalité ni du génie je ne me soucie guère ce soir. Je voudrais prendre la vie tout simplement, jouir de ce que je ne suis pas immortel encore ; car, lorsque je serai immortel, chère lady, je ne sentirai pas sur mes lèvres la peau transparente et fraîche de cette jolie main.

Et par un mouvement assez tendre, car ce soir-là vraiment lady Blington était jolie, il prit la main de sa maîtresse. Il sentait sa mauvaise humeur se dissiper ; mais lady BIington le repoussa vivement.

— Ah ! William, s’écria-t-elle, vous ne m’aimez pas comme je veux être aimée ; vous ne me comprenez pas, vous ne m’avez jamais comprise.

— Le fait est, milady, repartit William exaspéré, que nous ne nous comprenons pas ce soir. Peut-être que cette nuit je verrai en songe les anges de M. de Lamartine, et qu’alors, demain matin, vous me trouverez moins grossier. En ce moment, permettez-moi de vous quitter.

Et, sans écouter les reproches dont l’accablait lady Blington, il sortit d’un pas rapide.

— Ah ! miss Jane ! s’écria-t-il quand il se retrouva dehors en plein air, vous êtes capricieuse, vous êtes perverse, vous déchirez, vous brûlez, mais vous n’agacez pas les nerfs. Vous ne faites pas connaître ce misérable ennui, ces dépits mesquins qui sont ce qu’il y a de plus détestable au monde. Auprès de vous, on est heureux ou l’on souffre ; mais on sent les vraies, les grandes puissances de la vie.