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mens ! Tous les hommes absolument pareils ! C’est à peine si on pourra dire toi et moi, car chacun se reconnaîtra dans le premier passant venu.

— Je suis curieux de savoir comment tu accompliras ce beau rêve.

— Je le crois bien, reprit Timoléon.

— Ainsi, demanda M. Levrault, le but de la vérité sociale est de rendre tous les hommes pareils ?

— Vous l’avez dit, mon père. Rappelez-vous cette belle phrase de Rousseau : « Tout est bien, sortant des mains de Dieu ; tout dégénère entre les mains de l’homme. » Les ennemis de l’égalité s’appuient sur l’inégalité prétendue des forces et des intelligences : cette inégalité n’est qu’un blasphème. Dieu a donné à tous les hommes la même force, la même intelligence. L’éducation seule a créé cette inégalité monstrueuse où les philosophes puisent le plus perfide, le plus dangereux de tous leurs argumens. Je change l’éducation, et je rétablis l’égalité. Désormais plus de classes, plus de distinction injurieuse entre les professions libérales et les professions mécaniques. Tous les hommes sont propres à tout ; chacun doit exercer tour à tour toutes les professions, et ne saurait dédaigner la profession d’autrui sans se dédaigner lui-même.

Et voyant son père ébahi l’écouter bouche béante :

— Vous ne me comprenez pas ; je l’avais pressenti.

— J’avoue, répondit humblement M. Levrault, que je ne devine pas comment tu mettras en œuvre ton système.

— Jusqu’ici, je me suis borné à vous exposer sommairement le but, la fin de mon système. Il me reste à vous révéler les moyens que j’emploie pour atteindre ce but providentiel ; mais, avant de déchirer le voile du sanctuaire, je dois exiger de vous un serment solennel.

— Quel serment ? interrompit M. Levrault, qui déjà se voyait affilié à une société maçonnique.

— Jurez-moi, reprit Timoléon, de garder pour vous seul le secret que je vais vous dévoiler. Il y va de ma gloire. Songez-y bien, si quelqu’un pouvait connaître ce que je vais vous apprendre, il exploiterait à son profit la vérité sociale. Moi, nouveau Colomb, je serais dépouillé du monde que j’ai découvert. Jurez-moi donc la discrétion la plus sévère, la plus impénétrable.

— Sois tranquille, je garderai pour moi seul le secret que tu vas me révéler : je le jure.

— Maintenant, mon père, redoublez d’attention. Le théorème que je vais démontrer est d’une rigueur mathématique ; mais, si votre intelligence bronche un seul instant, si, pendant la déduction de mes idées, vous laissez échapper un seul mot, toute la démonstration est a recommencer.