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les finances et pour la guerre, afin d’avoir ainsi une force militaire et un trésor à part. Les Polonais avaient, de leur côté, des intentions moins ambitieuses, mais analogues ; ils étaient préoccupés de l’organisation administrative de la Gallicie ; ils proposèrent donc à M. Kossuth une sorte d’entente constitutionnelle dont il accepta avec empressement l’idée. Puis, ayant réussi à intimider le gouvernement autrichien à l’aide de cette menace d’une alliance magyaro-polonaise, M. Kossuth obtint ce qu’il avait sollicité, et laissa les Polonais seuls aux prises avec les difficultés de leur situation.

À cette époque, M. Kossuth ne voyait point de meilleure politique à suivre que de s’appuyer fermement sur l’Autriche. Il était prêt à lui donner tous les gages d’amitié qu’elle exigerait ; il venait de lui sacrifier les Polonais, il allait lui immoler l’Italie. On le vit, alors déployer le plus beau zèle pour les intérêts de la maison impériale. Il avait à cœur de l’aider à étouffer la révolution italienne. Il s’empressa de lui fournir les recrues dont elle avait besoin ; il accabla de malédictions la minorité, qui s’y opposait. Que la minorité, dit-il à la tribune, soit anéantie ! Il espérait, par cette condescendance envers l’Autriche, obtenir d’elle les moyens de comprimer les mouvemens des Illyriens et des Valaques, et d’affermir la domination des Magyars en Croatie et en Transylvanie. Il professait hautement que l’alliance la plus naturelle et la plus désirable pour la race magyare était celle de la race allemande. En effet, le jour où le gouvernement autrichien retrouva un peu de sa liberté à la faveur de l’insurrection des Croates contre les nouveaux privilèges militaires et financiers des Magyars, M. Kossuth, fidèle à ses instincts germaniques, n’abandonna les conservateurs autrichiens que pour s’unir aux radicaux de Francfort. il fallut les graves complications amenées par la révolution de Vienne et le soulèvement des Serbes, des Croates et des Valaques, pour que M. Kossuth, écrasé par les événemens, songeât à se tourner du côté des Polonais. Dominé par la force des choses, le tribun magyar n’avait pas d’autres plans que ceux qui lui étaient inspirés sur le moment par les circonstances ; comme le poète de la révolution de février, avec lequel il a plus d’un trait de ressemblance, il ne craignait pas d’ailleurs de maximer ses pratiques et de dire que la politique est la science des expédiens. M. Kossuth croyait sans doute être et paraître par là profondément rusé.

Quel était au fond ce personnage, qui portait dans ses mains le sort de tant d’intérêts ? Bien qu’il faille, en vérité, peu d’éloquence et encore moins d’idées pour soulever et passionner les multitudes, bien que les qualités d’un tribun ne s’allient qu’assez rarement à la vraie supériorité de l’intelligence, encore ces qualités, ne sont-elles pas à la portée du premier venu, et l’on est au-dessus du vulgaire, sinon par le talent, au moins par le savoir-faire, lorsque l’on a saisi par soi-même et tenu