s’assuraient que la colonne s’avançait en bon ordre, et, d’heure en heure, le chef d’état-major faisait sonner une halte. C’étaient dix minutes données aux soldats d’infanterie pour se reposer du poids effrayant de leur bagage, lorsque huit jours de vivres viennent s’ajouter à leur charge habituelle. Dans les grandes étapes, l’on s’arrête une heure et demie environ à moitié route, et les soldats mangent le café, ou plutôt la soupe au café. Je ne puis me servir d’une autre expression pour désigner ces gamelles remplies de café et de biscuit cassé, où chacun puise à tour de rôle. Tel est l’ordre habituel des marches en Afrique.
Nous cheminions donc dans la vallée du Chéliff, à travers des blés magnifiques, fumant et causant, riant et chantant, ou silencieux et pensifs selon que l’on avait joyeuse humeur ou tristesse ; mais, fort heureusement, la tristesse n’était guère notre fait. Nous étions en train de parler de tous et de tout, gloires illustres et célébrités inconnues, aventures de guerre ou d’amour, lorsqu’enfin les chevaux, et c’était justice, eurent aussi leur tour. À l’unanimité nous déclarions qu’on devait un respect profond à ces héros, silencieux qui, si souvent, ont fait la gloire de ceux qui les montaient, lorsque M. de Carayon-Latour se mit à nous chanter cette complainte de soldat qui courait sur un cheval du général Changarnier, mort à la bataille. Certes, l’illustre animal n’avait rien à envier à M. de Marlborough, dont cette chanson de bivouac empruntait le refrain :
Le pauvre Max[1] est mort !
Mironton, mironton, mirontaine,
Le pauvre Max est mort,
Mort et pas enterré ! (Ter.)
Il était v’nu d’All’magne,
Mironton, mironton, mirontaine,
Il était v’nu d’All’magne,
Pour aller en Alger. (Ter.)
Il s’est fait par gloriole,
Mironton, mironton, mirontaine,
Il s’est fait par gloriole
Cheval de général. (Ter.)
Il reçu maintes balles,
Mironton, mironton, mirontaine,
Il reçut maintes balles,
Et l’ général aussi. (Ter.)
- ↑ Ce Max était un grand cheval allemand bien connu des soldats. Il avait été blessé plusieurs fois, et le général le montait, lorsque lui-même reçut une balle au bois des Oliviers près du col du Mouzaïa, en 1841.