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les émigrés établis depuis 1831 en Hongrie accouraient sous le drapeau de Bem. Ceux d’Allemagne, de France et de Turquie se mirent en devoir de lui apporter aussi leur concours. Enfin, la Gallicie, Posen et le royaume lui-même fournirent leur contingent. Leurs recrues arrivaient homme par homme à travers mille périls, échappant aux regards de la police sous mille déguisemens ingénieux, courant risque de la liberté et de la vie avant même de mettre le pied sur le théâtre de la guerre. On était au plus rude moment de l’hiver. Il y en eut qui moururent de faim et de froid dans les forêts où ils étaient obligés de se cacher au milieu des populations ennemies. Que de jeunes gens s’arrachèrent ainsi aux travaux de leur profession ou aux douceurs d’une vie oisive pour se rendre sur ce terrain, où ils croyaient que la voix du pays les appelait ! Mères, sœurs et femmes les encourageaient avec un dévouement qui ne se rencontre peut-être qu’en Pologne, et ce patriotisme d’un caractère touchant ajoutait lui-même une flamme nouvelle à l’ardente émotion qui s’était emparée de tant de cœurs virils.

Bem avait écarté les Valaques, afin de battre Püchner et les Russes ; mais les Valaques, quoique les neuf dixièmes d’entre eux fussent sans armes, n’étaient pas soumis, et refusaient de se soumettre à d’autres conditions que celle de l’égalité des races bien garantie. Les Magyars, qui n’avaient pas consenti à faire cette concession dans la détresse, s’y résoudraient-ils dans le succès ? Les Valaques étaient d’autant plus inquiets et plus disposés à rester unis à l’Autriche, que les Magyars reprenaient plus de terrain. De son propre mouvement, Bem eut soin en toute occasion de montrer aux Valaques des intentions amicales. D’une sévérité parfois outrée en matière de discipline, il se garda bien d’imiter la conduite des Magyars envers leurs ennemis. Quoique l’on ait dit le contraire, lorsque la fuite des Russes et des Autrichiens l’eut rendu maître d’Hermanstadt et de la Transylvanie orientale, il s’étudia à la modération. Ce fut une surprise pour les populations, qui s’attendaient à trouver en lui une sorte de barbare animé de toutes les haines du magyarisme, un sabreur avide de pillage et de sang.

Il y avait parmi les Valaques un parti qui fut touché de ces bons procédés, et qui pensa, sur la foi de cette politique toute personnelle au général Bem, que les Magyars ne répugneraient point à entrer en négociation, sinon par désintéressement, du moins par un sage calcul. Ce parti ne demandait pas au gouvernement magyar ce qui eût été cependant d’exacte équité, ce que l’Autriche promettait : l’indépendance administrative de tous les Valaques de la Hongrie et de la Transylvanie réunis en un même corps. Il se fût contenté, tout en se résignant à l’incorporation de la Transylvanie à la Hongrie, d’obtenir pour chaque comitat et chaque commune une reconnaissance de leur nationalité spéciale. Dans tous les comitats et toutes les communes où la majorité