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de ses jeunes soldats. C’était, en effet, un résultat considérable, le premier qui eût été obtenu par l’armée magyare de l’ouest, d’avoir su tenir deux jours et deux nuits devant l’ensemble des forces de l’ennemi. Les tiraillemens qui avaient affaibli le commandement durant ces deux journées, l’inexpérience des chefs, le mauvais vouloir de Georgey, paralysèrent les combinaisons de Dembinski dans la retraite, comme à Kapolna. Georgey se dirigea vers Poroszlo, contrairement aux ordres qu’il avait reçus, et quand Dembinski, forcé de le suivre dans cette direction afin de le rejoindre, lui adressa de trop justes reproches, Georgey répondit : « Oui, c’est ma faute. » Klapka, dont la fuite avait ressemblé à une déroute complète, répliqua, de son côté, « qu’ayant eu, non plus six mille, mais quatorze mille hommes à commander ; il n’avait pas trouvé de place pour les déployer ! »

La comédie n’était point terminée. Georgey cessa dès ce jour d’entretenir aucune relation, officielle avec le commandant en chef, et prit sur lui d’évacuer la nouvelle position qui lui avait été assignée à Poroszlo, pendant que Klapka devait surveiller Szolnok, qui restait le but du général Dembinski. Si ce n’eût été que l’on attendait d’un moment à l’autre l’arrivée du président Kossuth au camp, Dembinski eût fait sans retard arrêter Georgey. Georgey, de son côté, avait conçu la pensée d’un complot dans l’intention de renverser Dembinski. À peine celui-ci en fut-il informé par le commissaire-général Szémeré, que Georgey se présenta, en compagnie des divisionnaires Kepassy, Aulich et Klapka. Georgey prit la parole : « Monsieur le feld-maréchal, dit-il, nous avons de tristes nouvelles à vous annoncer. » Dembinski, l’interrompant, répliqua pour le mettre plus à l’aise : « Croyez-moi, messieurs, ayant la conscience tranquille, rien de ce que vous allez me dire ne pourra m’attrister. » Georgey continua, et dit dans un langage embarrassé que « l’armée n’avait plus de confiance en Dembinski, parce qu’il ne connaissait pas le pays, et parce qu’il ne communiquait pas ses plans à ses principaux lieutenans. » - Je vous ai laissé parler reprit Dembinski ; je me suis déjà expliqué sur le sujet que vous soulevez, et dont les autorités compétentes seront juges. Entre nous tout est fini ; mais je ne puis m’empêcher de vous dire que, lorsqu’il y a dix-huit ans, mes officiers voulurent, en Lithuanie, m’obliger à leur communiquer mes plans, je leur répondis simplement que, si ma casquette les savait, je la jetterais au feu et marcherais tête nue. Depuis ce temps, j’ai beaucoup réfléchi sur le métier des armes ; ma volonté s’est encore affermie dans la réflexion. Aujourd’hui, on pourra me briser comme on brise une barre de fer, mais on ne me verra point plier. Songez à ce que vous faites. En ce moment peut-être, on se bat à Szolnok. Douze mille d’entre vos compatriotes peuvent payer de leur vie la résolution que vous prenez ici. » Puis, se tournant vers Klapka, le