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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/108

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se mettait en route dans la direction de l’ouest, où les renseignemens arabes indiquaient due les tribus s’étaient retirées.

Pendant ces marches, nous ne pouvions nous lasser d’admirer la constance du soldat d’infanterie si pesamment chargé, qui, se moquant de lui-même, s’est donné le surnom de soldat chameau. C’était en effet merveille de les voir s’avancer pendant de longues journées, sous un soleil ardent, à travers des pentes affreuses, toujours gais, toujours en train, se reposant, s’amusant d’un rien. Une après-midi, on arrivait au bivouac, les faisceaux étaient déjà formés, chacun à son ménage. Tout à coup une rumeur épouvantable. Tous de courir à droite, à gauche ; un tumulte ! le général lui-même sort de sa tente. Quel était donc ce grand événement ? Un lièvre, un malheureux lièvre qui, surpris au gîte, après avoir hésité long-temps, s’était décidé à s’enfuir. Signalé, aperçu, l’un de courir après lui, l’autre de lui jeter son bâton, chacun d’attraper ce plat encore vivant ; enfin un voltigeur, plus souple, plus adroit, avait lancé sa capote sur la bête, et lui-même par-dessus, en sorte que bon gré, mal gré, le pauvre lièvre kabyle fit le bonheur d’un Français ce soir-là.

C’est à l’arrivée au bivouac que brille de tout son éclat l’industrie de nos soldats. Arrêtez-vous près d’une petite tente, et voyez le chef d’escouade ; on lui apporte alors crabes, tortues, serpens d’eau, toutes ces bêtes qui n’ont pas de nom, mais un goût, et que l’expérience apprend à manger sans crainte. Ou bien encore ils s’en viennent, leur gamelle pleine de sang de boeuf. Bouilli au feu à trois reprises différentes et refroidi ensuite, le sang de bœuf finit par former une espèce de fromage noir. Etendu sur le biscuit, avec quelques grains de gros sel, cela fait une nourriture passable, précieuse ressource pour les estomacs affamés. Les bœufs et les moutons ennemis valent pourtant mieux ; aussi tous nos soldats avaient-ils une grande hâte de joindre les Kabyles, de leur faire des prises, et les nombreuses traces que nous rencontrions dans la direction de l’ouest donnaient bon espoir. Tous les renseignemens arabes s’accordaient en effet pour signaler la présence des populations du côté de l’Ouar-Senis même. Les renseignemens étaient exacts ; le 18 mai au matin, un moment après avoir traversé l’Oued-Foddha et nous être engagés dans un défilé, nous aperçûmes quelques cavaliers arabes, et, en débouchant sur ce large plateau d’où se dresse la crête rocheuse, nous vîmes l’ennemi.

Nous arrivions de l’est, parallèlement au côté sud de la crête. Devant nous s’étendait un vaste plateau couvert d’arbres, de verdure, de vignes, de maisons et de jardins. À l’ouest, le plateau se terminait par une haute montagne en pain de sucre, séparée de la crête rocheuse par un col servant de chemin. Ce plateau s’arrêtait brusquement vers le sud, à une ravine où coulait une rivière. La crête pouvait avoir