château d’Elseneur ? Qu’ont-ils à craindre ? et quel mal est pire que la peur, qui, en paralysant les forces d’action, nous livre inévitablement à nos ennemis ? Assez long-temps la société a été livrée à des craintes chimériques ; assez long-temps, comme les enfans, elle s’est effrayée des sifflemens du vent et des bruits de l’orage. Il est temps qu’elle se rassure, et qu’elle sache qu’elle n’a devant elle que des fantômes. Il faut enfin que toutes les puérilités de l’opinion se dissipent, et que la société vive comme elle a toujours vécu, dans la lumière, dans la réalité, dans la vie.
La grande faute de la société, c’est que, depuis deux ans, elle fait la chasse aux fantômes. Imprudens ! vous rédigez des journaux, vous publiez des brochures ; mais c’est toit ce que les fantômes démandent, mais vous flattez singulièrement leur orgueil, mais vous les faites passer par là à l’état de réalités, vous affirmez leur existence. Depuis deux ans, tout ce qu’on a écrit sur le socialisme est vraiment prodigieux. M’est avis qu’il aurait mieux valu employer son temps et son intelligence aux objets auxquels on les employait autrefois, qu’il aurait mieux valu continuer à écrire des romans, à faire représenter des drames, à publier d’innocente poésies. Vous vous faites les complices involontaires du socialisme en le discutant si souvent et si longuement. Nous voilà donc, disent-ils, pris au sérieux ; le corps que nous cherchions, on nous le prête : qu’avons-nous besoin de le chercher plus long-temps ? La vie que nous n’avions pas, on nous la suppose ; nos forces, inégales en réalité, ne peuvent-elles se démontrer aussi nombreuses, aussi énergiques que celles de nos adversaires ? Nous sommes considérés comme un parti, nous qu’on appelait naguère théoriciens, utopistes, esprits chimériques ! Nous pouvons donc faire de ce monde notre domaine, nous pouvons triompher des vivans !
Ces combats, ces discussions avec des ombres, sur des rêves, ont encore un autre inconvénient. C’est qu’ils forcent la société à poursuivre les fantômes qui viennent la troubler, ils l’obligent à sortir de son repos pour vaincre des ennemis invisibles, et qui fuient toujours plus loin dès qu’elle s’approche. Prenez garde, le socialisme ne demande pas autre chose. Les feux-follets savent aussi faire briller aux yeux du voyageur une clarté douteuse, ils l’entraînent dans les marais qui leur ont donné naissance, ils l’attirent dans les tombes d’où ils sont sortis. Les escarmouches auxquelles vous invitent vos adversaires, ce sont des ruses pour éviter le combat sérieux, des piéges qu’ils vous tendent pour vous faire tomber sans vous fournir l’occasion de la lutte, pour empêcher toute défense de votre part. Prenez donc garde et résistez aux propositions de combat qu’ils vous font à toute heure, résistez à ces séductions de la discussion philosophique, chère à toutes les véritables intelligences ; oubliez que vous êtes des gens d’esprit et fermez