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plus qu’eux au monde de la mort, car eux ils s’efforcent de faire du néant une réalité, tandis que vous, vous réduisez la réalité à n’être plus que le néant.

Et pourtant nous avouerons qu’au point de vue historique M. Proudhon a raison : oui, ou bien la révolution de février n’avait aucun sens, ou bien elle était dirigée contre l’idée d’autorité et, bien plus encore, contre toute forme de gouvernement. Oh ! combien il eût été désirable que les livres de M. Proudhon eussent été lus davantage avant la révolution de février ! Combien les habitans de la France eussent été surpris, si, avant la chute du gouvernement de juillet, M. Proudhon, invite à s’expliquer sur sa doctrine dans quelque banquet réformiste, eût dit : Vous cherchez un but où vous diriger, braves gens, vous cherchez encore la meilleure forme de gouvernement, mais le malheureux qui roule d’abîme en abîme s’inquiète-t-il de chercher le point où il devra tomber ? Non ; il faut qu’il roule toujours jusqu’à ce qu’il ait touché le fond du précipice. Vous cherchez à comprendre mes idées ; mais ne voyez-vous pas qu’elles consistent simplement dans la négation de toutes les idées, de tous les expédiens, de toutes les méthodes inventées par la raison humaine depuis soixante ans, pour vous retenir sur la pente qui mène au gouffre ? Puisque vous ne pouvez vous cramponner nulle part, puisque vous ne trouvez aucune herbe où vous accrocher, puisque vous sentez le vertige vous gagner, n’est-il pas plus simple de prendre bravement votre parti, de fermer les yeux et de tomber avec moi ? Comment donc, hommes naïfs et de trop de foi ! vous cherchez encore une forme de gouvernement, une forme politique pour vous abriter ? Comptez toutes les formes de gouvernement que vous avez usées : monarchie constitutionnelle, république militaire, façon spartiate, république à la façon athénienne, république militaire, empire, compromis monarchique libéral et religieux de la restauration, gouvernement de la bourgeoisie, et vous venez ici pour demander autre chose ! vous vous réunissez bruyamment pour demander la démocratie ou la mort ? Pauvres sots ! ne serait-il pas plus simple de vous passer de gouvernement et d’institutions ? Puisque vous ne pouvez en trouver à votre convenance, supprimons-les tous, et qu’il n’en soit plus question car, puisque vous les détruisez tous, c’est une preuve que vous ne pouvez être libres et heureux que dans une société sans pouvoir. J’en dirai autant des formes sociales, mœurs, organisation des intérêts. Puisque vous ne pouvez parvenir à vous entendre sur la propriété, le fermage et les salaires, eh bien ! qu’il n’y ait plus ni propriété ni salaire. — Ici l’auditoire murmure. — Ah ! vous trouvez mes tendances mauvaises ? mais, destructeurs inintelligens, ayez donc le courage d’aller jusqu’au bout. Vous vous croyez des dieux ? Eh bien !