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Voilà ce que dit la logique ; voici ce que disent les faits. Ceux qui se proclament les plus grands amis et pour ainsi dire les pères du suffrage universel sont ceux qui s’opposent le plus au vote a la commune. Ils veulent donner aux citoyens le plus de droits possibles, mais ils ne veulent pas leur en faciliter l’exercice. Ils veulent que tout le monde soit électeur, mais ils ne veulent pas que l’électeur puisse élire dans sa commune. Il faut, s’il veut élire, qu’il aille au chef-lieu de canton, qu’il fasse cinq ou six lieues, perde son temps et son argent. Beaucoup d’électeurs n’iront pas assurément ; mais c’est là le beau du suffrage universel dans la démagogie : il est exercé par le petit nombre. Les hommes ardens et fanatiques, les affiliés des sociétés secrètes, les stipendiés des clubs, les fainéans et les débauchés, ceux qui aiment mieux le cabaret que la maison domestique, ceux-là, soyez-en sûr, iront au chef-lieu de canton, et c’est là le peuple selon le montagne. Le peuple, ce n’est pas le père près de ses enfans, le mari près de sa femme, le fils près de son père, l’homme enfin dans le cadre de sa vie de tous les jours et dans le milieu de ses bons sentimens et de ses bonnes traditions. Le peuple, c’est la foule hors de chez-elle, la foule dépaysée, égarée, avinée, n’ayant plus pour inspirateurs que les orateurs d’estaminet. Voilà comment la démagogie entend le suffrage universel, et si vous vous avisez de l’entendre autrement, si vous voulez que le suffrage universel soit le suffrage de tout le monde, que le vote soit sincère et loyal, que le scrutin soit près de l’électeur, que le père de famille ne se dégoûte pas d’être citoyen, parce que l’exercice des droits de citoyen coûte trop cher, alors la montagne déclare que vous voulez détruire le suffrage universel et que vous violez la constitution ! .

Et à propos de la violation de la constitution, la montagne, qui répète ce cri tous les huit jours, ne comprend-elle pas qu’elle l’use singulièrement, et que, si un jour la constitution était violée en effet, personne ne voudrait croire aux cris de la montagne. Ce serait la fable du berger qui s’amusait à crier au loup, quand le loup n’y était pas. Les premières fois, on vint à ses cris, et il se mit à rire d’avoir si bien attrapé son monde ; mais un jour le loup vint, et il cria : personne ne bougea. Ce qui nous fâche dans ces cris de la constitution violée, c’est de voir un homme comme le général Cavaignac s’y associer. Nous pourrions dire que, depuis quelque temps, le général Cavaignac semble prendre à tâche de détruire par ses paroles l’autorité qui s’est attachée à ses actes ; mais à Dieu ne plaise que nous contribuions jamais à détruire ou à diminuer les grandes influences qui se sont formées dans notre pays ! Nous sommes donc décidés à ne jamais perdre le souvenir des grands services que le général Cavaignac a rendus au pays dans les terribles journées de juin 1848. Nous n’oublierons notre reconnaissance envers le général Cavaignac que le jour où les amis des insurgés de juin oublieront contre lui leur rancune et leur colère. Cette caution garantit la durée de nos bons sentimens envers le général Cavaignac.

La discussion sur le vote à la commune a été soutenue avec beaucoup de fermeté et de vivacité d’esprit par le rapporteur de la commission, M. de Gaslondes. Il a rendu service à l’assemblée en débarrassant la discussion des subtilités dont on voulait l’encombrer, en ne la passionnant pas mal à propos, en la ramenant enfin sans cesse au véritable point, c’est-à-dire à l’organisation