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à Junon soulevant de son regard dominateur les flots de la mer. C’est ainsi que Mme Catalani fut enrôlée dans la grande coalition que soudoyait. L’Angleterre contre son implacable ennemi.

Mme Catalani vint à Paris en 1814, avec les alliés, prendre sa part du triomphe commun, auquel elle avait contribué, sans doute, par ses arpéges séducteurs et ses vigoureuses fusées. Le 4 février 1815, elle donna un concert au bénéfice des pauvres, à l’Opéra, où son succès fut aussi éclatant qu’il l’avait été en 1806. Elle disparut pendant les cent jours et se rendit à Gand avec Louis XVIII, qu’elle avait connu en Angleterre, et qui honorait la cantatrice de sa royale bienveillance. Sa maison était le rendez-vous des émigrés les plus illustres ; Après une excursion en Hollande et en Belgique, Mme Catalani revint à Paris à la seconde restauration. C’est alors que Louis XVIII, voulant récompenser l’attachement que Mme Catalani avait montré pour sa personne et pour la cause de la légitimité, lui accorda le privilège du Théâtre-Italien, avec 160,000 francs de subvention. Cette entreprise fut pour la cantatrice une source de contrariétés et de peines de toute nature. Complètement dominée par l’esprit remuant de son mari, M. de Valabrègue, qui cherchait à éloigner du Théâtre-Italien tous les virtuoses dont le talent pouvait faire ombrage à la réputation de sa femme, Mme Catalani fut obligée d’abandonner cette malheureuse direction, après y avoir perdu, avec les bonnes graces du public parisien, 500,000 francs de sa fortune. Pour réparer ce double échec, la célèbre cantatrice entreprit un grand voyage dans le nord de l’Europe. Elle visita le Danemark, la Suède, parcourut triomphalement toute l’Allemagne, donnant des concerts qui lui rapportèrent des sommes considérables. Au milieu de l’enthousiasme qu’elle excita partout sur son passage, au milieu de la vive lumière dont elle éblouissait la foule étonnée, la critique allemande fronça le sourcil et prétendit juger cet oiseau merveilleux du pays de l’aurore avec les gros principes d’une esthétique rigoureuse. C’était vouloir soumettre les arabesques de Raphaël au laminoir de la raison pure de Kant. Malgré un article remarquable qui parut dans la Gazette musicale de Leipzig sur Mme Catalani[1], malgré l’accueil plus que froid qu’on lui fit à Munich, elle quitta l’Allemagne, emportant une riche moisson de gloire et de bons écus.

En 1817, Mme Catalani se rendit à Venise, où s’étaient épanouies, trente années plus tôt, sa jeunesse et sa renommée. Pacchiarotti, qui vivait encore, et de ses plus grands admirateurs. Nous ne suivrons pas davantage notre infatigable voyageuse, qui visita les coins les plus reculés de l’Europe. Qu’il nous suffise de dire qu’en 1823 Mme Catalani traversa la Pologne et se rendit en Russie, où l’empereur Alexandre l’accueillit avec une faveur toute particulière. La dernière fois qu’elle ait chanté en public, c’est dans un concert qu’elle donna, en 1828, à Dublin.

Après avoir ainsi charmé le monde pendant le cours de presque un demi-siècle, Mme Catalani se retira dans une belle propriété, aux environs de Florence, où se sont écoulées les dernières années de sa vie, au milieu de l’opulence et

  1. Voir la Gazette musicale de Leipzig du 21 août 1816.