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les résolutions extrêmes, tout émoustillé, tout léger, tout joyeux de ne plus se sentir à la suite de l’ami Gaspard et de n’avoir désormais à manœuvrer que pour son propre compte, il piqua des deux, coupa l’air avec sa cravache et s’avança résolument sur la Trélade. Montjoie et saint Denis ! À son tour, il entrait en lice, non plus comme un valet, mais le casque en tête et la lance au poing. Il allait donner le coup de grâce au vicomte, se mesurer avec les La Rochelandier, disputer à une aristocratie avide et rapace les écus du grand fabricant. Il y avait dans tout cela quelque chose d’aventureux qui plaisait singulièrement à l’imagination du jeune tabellion. Maître Jolibois s’étonnait seulement de n’y avoir pas songé plus tôt. S’il échouait, il retomberait sur ses pieds et se retrouverait Gros-Jean comme devant. S’il réussissait, quel honneur ! Je ne parle plus des millions ; on croirait que Jolibois en voulait à l’argent. Jolibois était républicain. En ce temps-là, chaque département comptait avec orgueil une demi-douzaine de notaires et d’avoués qui éprouvaient le besoin de changer la forme du gouvernement. Depuis plusieurs années, la nécessité d’une nouvelle révolution se faisait sentir dans quelques études de province. Maître Jolibois appartenait à cette phalange d’Harmodius de la basoche qui s’indignaient de l’asservissement de leur patrie, et aspiraient à l’affranchir du joug écrasant qui pesait sur elle. Sous les dehors d’un esprit léger et goguenard, Jolibois cachait des vertus austères. Ses idées sur la fraternité et sur l’égalité ne laissaient rien à désirer. S’il méprisait les huissiers et les commissaires-priseurs, s’il faisait peu de cas des avoués, s’il menait ses clercs à la baguette, s’il traitait de Turc à Maure les cliens qui ne le payaient pas, en revanche on eût été mal venu à soutenir devant lui qu’un notaire n’était pas l’égal d’un maréchal de France ou d’un prince du sang. Lorsqu’il lui arrivait de dîner dans quelque maison opulente, {{corr|ii}il} regardait d’un œil indifférent le luxe et l’élégance du service ; jamais l’envie ne s’était glissée dans ce noble cœur : seulement il se demandait le lendemain pourquoi des gens qui ne le valaient pas se permettaient de manger dans de la vaisselle plate, quand il mangeait, lui, maître Jolibois, tout simplement dans de la porcelaine. Ce qu’il avait au plus haut degré, c’était ce mépris de l’or, cet antique désintéressement qui ne se rencontrent que chez les ames républicaines. Qu’on se garde donc bien de le soupçonner de cupidité ; arrêtons-nous avec respect devant un des caractères les plus purs dont s’honorent les temps modernes ! En se décidant à chasser aux millions, Jolibois ne pensait qu’aux misères du peuple, aux moyens de les soulager. Un château à la porte duquel le pauvre ne frapperait jamais en vain, une vaste propriété qui lui permît d’occuper le plus de travailleurs possible, un hôtel à Paris pour réunir ses amis politiques et se consulter avec eux sur l’avenir des classes nécessiteuses, voilà tout