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entraînante, il relevait les affaires du côté des Écossais. Charles Ier, se voyant en face d’une assemblé hostile, crut avoir besoin d’un conseiller aussi puissant que Strafford et l’appela auprès de lui. Strafford hésita long-temps à venir se jeter au milieu de ses ennemis ; il essaya de faire comprendre au roi que sa présence en Irlande servirait bien mieux ses intérêts ; à la fin, il fut obligé de se rendre aux obsessions de Charles. À peine arrivé à Londres, il fut pris dans un traquenard parlementaire. Pym fit voter un acte d’accusation contre lui et le porta le même jour à la chambre des lords, en demandant qu’avant tout jugement il fût arrêté et conduit à la Tour. Strafford était en ce moment chez le roi. Prévenu, il court à la chambre des lords. Il entre impétueusement et marche vers sa place, le regard enflammé. Un murmure s’élève dans la majorité, heureuse d’humilier cette puissance. On le fait sortir ; on ne le rappelle que pour lui faire écouter à genoux l’ordre de son arrestation. Pym avait atteint son premier but ; il l’avait séparé de Charles. « S’il voit le roi, avait-il dit auparavant à ses amis, le parlement sera dissous ; nous sommes perdus. » L’histoire du procès et de la mort de Strafford est trop connue pour que je la reproduise longuement. On sait la magnanimité avec laquelle Strafford défendit sa cause et l’intérêt qu’elle excita. Un témoin oculaire et ennemi, l’Écossais Baillie, rend naïvement dans ses lettres l’impression publique. Pour avoir une place à ce dramatique spectacle, Baillie était obligé d’aller à la chambre des lords à cinq heures du matin. Un grand nombre de dames y venaient et payaient leurs places fort cher. La séance commençait à huit heures. Le roi et la reine arrivaient à neuf, mais restaient dans une loge grillée. « C’était, dit Baillie, la plus glorieuse assemblée que puisse présenter cette île ; cependant la gravité n’est pas telle que je m’y serais attendu. Il y a souvent de grandes clameurs du côté de la porte. Dans les intervalles, quand Strafford prépare ses réponses, les lords sont debout, marchent et font du bruit ; les hommes de la chambre basse aussi font beaucoup de bruit. Après dix heures, on mange beaucoup, non-seulement des gâteaux, mais du pain et de la viande ; les bouteilles de vin et de bière circulent de bouche en bouche, sans coupe, et tout cela sous les yeux du roi ; oui, un grand nombre ne font que tourner le dos et pas que cela, car on ne peut sortir et rentrer, et souvent la séance dure jusqu’à quatre heures. » L’attitude de Strafford durant cette épreuve fut pleine d’assurance, de noblesse et de grace. Aussi, comme dit naïvement Baillie, « il gagnait chaque jour beaucoup chez les gens simples, spécialement auprès des dames. » Bientôt, écrivait un historien puritain, le peuple commença à se diviser sur son compte. Le clergé était tombé en une si grande admiration et une si grande tendresse à son égard, qu’il en oubliait Laud ; les courtisans jetaient les hauts cris et les femmes