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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/257

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détournée par d’autres soins. La gloire de donner un code à son empire la préoccupait alors ; elle avait conçu un projet plus vaste encore, mais un peu chimérique. Sous le nom d’alliance du Nord, elle voulait réunir toute cette zone de l’Europe dans une ligue semblable au pacte que le duc de Choiseul avait formé dans le Midi. Peu importait à Frédéric que Catherine ceignît le laurier de législatrice et se fît l’émule de Justinien ; mais il lui importait beaucoup qu’elle ne devînt pas le chef avoué de toute l’Europe septentrionale. Il en conçut une vive jalousie, et, tant pour rompre ce dessein que pour renouer le fil abandonné des affaires de Pologne, il se hâta de reporter sur ce pays l’attention de son alliée, trop distraite à son gré par d’autres pensées plus fécondes et plus brillantes.

Pleins de confiance dans le calme trompeur où ils vivaient depuis le couronnement de Stanislas-Auguste, les Czartoriski avaient repris leur travail de réforme, et, malgré les avertissemens des agens diplomatiques des cours de Pétersbourg et de Berlin, ils n’avaient pas renoncé à l’abolition de la loi d’unanimité et du liberum veto ; mais, quoiqu’ils fussent assez éclairés pour comprendre ce qu’il y avait d’illogique et d’injuste dans la situation des dissidens, exclus, dès la diète d’élection en 1764, du sénat, des charges publiques, enfin du droit commun ; quoiqu’ils eussent tenté de leur prêter quelque appui, ils avaient cédé à la clameur publique, fortement prononcée dans la diète de couronnement contre tous ceux qui ne professaient pas la religion catholique romaine. S’il y avait eu alors dans la nation polonaise l’esprit politique dont elle a toujours été dépourvue, les réformateurs d’une législation vicieuse, mais locale, auraient compris que, pour se concilier l’Europe et pour ôter, tout prétexte à l’ingérence étrangère, il fallait satisfaire aux grands principes de justice naturelle, violés par l’oppression des dissidens. Le droit de tout homme à l’exercice de son culte et à la liberté de sa conscience n’avait pas encore été généralement reconnu. La législation des nations les plus éclairées était, sous ce rapport, défectueuse et incomplète : l’Angleterre, par exemple, qui, avec la Russie, la Prusse, le Danemark et la Suède, appuyait en Pologne l’émancipation des non catholiques, l’Angleterre était certes bien loin de prêcher d’exemple ; mais la théorie avait déjà devancé partout l’application, et la liberté religieuse, toujours repoussée des constitutions politiques, était déjà hautement annoncé sous le nom provisoire de tolérance.

Rendre hommage à cette doctriné sacrée qui allait devenir la loi du monde, c’était mettre la raison de son côté, c’était enrôler sous les drapeaux de la Pologne tout ce qui tenait une plume, cette épée du XVIIIe siècle Les Polonais rétrogradèrent jusqu’au xiiie. Au lieu d’étendre le cercle où les dissidens étaient renfermés, ils les y resserrèrent avec une nouvelle rigueur. On leur ôta même les droits qu’ils avaient