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loi en Pologne, dit au prince Henri que, si la cour de Vienne voulait démembrer la Pologne, les autres voisins de ce royaume étaient en droit d’en faire autant. Cette ouverture se fit à propos, car, après avoir tout examiné, c’était l’unique voie qui restât d’éviter de nouveaux troubles et de contenter tout le monde. La Russie pouvait s’indemniser de ce que lui avait coûté la guerre avec les Turcs, et, au lieu de la Valachie et de la Moldavie, qu’elle ne pouvait posséder qu’après avoir remporté autant de victoires sur les Autrichiens que sur les musulmans, elle n’avait qu’à choisir une province de la Pologne à sa bienséance[1]. »

À s’en tenir au récit du roi de Prusse, il ne fit que suivre l’Autriche et la Russie ; c’est Marie-Thérèse qui, la première, envahit le territoire de la république, et, sur cet exemple, ce fût Catherine qui proposa le démembrement. D’où il résulte que Frédéric est parfaitement innocent de tout ce qui s’est passé, et qu’il s’est borné à suivre docilement les deux impératrices, ses alliées ; mais il a oublié :

Que lui-même, du vivant de Guillaume Ier, avait supplié son père de s’emparer de la Prusse polonaise ;

Que le partage, arrêté entre lui et Pierre III, ne fut ajourné que par suite de la révolution de 1762 ;

Que, dans les négociations qui précédèrent l’entrevue de Neustadt, il avait renouvelé les mêmes propositions, et qu’elles furent éludées par Catherine ;

Que son projet de pacification, porté à Pétersbourg par le comte Lynar, contenait formellement un projet de partage, et qu’il en est convenu lui-même dans ses Mémoires, quoique ses premiers éditeurs aient supprimé cet aveu, loyalement rétabli depuis.

Ici, les preuves sont positives ; elles seraient suffisantes. Celles qu’on peut tirer des conférences de Neustadt n’ont pas le même caractère d’évidence : personne n’a assisté aux entretiens particuliers de l’empereur du roi et du prince de Kaunitz, peut-être aucun écho n’en aurait révélé les secrets, si le scribendi cacoëthes du métromane n’avait pas trahi la dissimulation du politique ; mais, malgré les précautions de Frédéric, et surtout à cause de ces précautions, qu’y a-t-il de plus clair que ses aveux ?

« Il y avait deux partis à prendre : ou l’arrêter (Catherine) dans le cours de ses immenses conquêtes, ou, ce qui était le plus sage, d’essayer d’en tirer parti.

« Le roi jugea qu’en y faisant intervenir la cour de Vienne et en y joignant sa médiation, on pourrait rétablir la paix entre les puissances belligérantes à des conditions acceptables des deux parts[2]. »

  1. Mémoires de 1763.
  2. Ibid.