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au moins au dépôt des affaires étrangères. La contradiction saute aux yeux. Frédéric attribue la proposition à Catherine, le prince Henri à lui-même. Comment les deux frères pouvaient-ils avoir deux opinions différentes sur un pareil fait ? D’ailleurs, le faux et l’arrangement percent dans le récit du prince. Que dire de ce dialogue : Ne seriez-vous pas bien étonné, etc. ? Où est le naturel, où est la vraisemblance ? Le roi se garda bien d’envier à son frère l’initiative qu’il réclamait. Il voulut même le récompenser par une statue ; mais, au grand regret de Frédéric Henri aima mieux recevoir sa gloire en argent. Point de doute, l’auteur de ce projet est connu : c’est Frédéric. La première proposition et l’accord entre l’Autriche et la Prusse doivent être fixés, non pas à Neiss, mais à Neustadt. Il est donc absurde d’en faire un coup de théâtre entre le prince Henri et l’impératrice Catherine. Voici la vérité sur leur entrevue. Frédéric l’avait préparée en l’attribuant au hasard ; Henri avait pris la route du Nord, sous prétexte de faire une visite à sa sœur Ubrique, reine de Suède. Le hasard l’avait ensuite conduit jusqu’à Pétersbourg ; l’entrevue avait été pompeuse, mais froide. Le prince négociateur emporta à Berlin le consentement éventuel de Catherine II ; mais aucun détail n’avait été débattu, aucune base arrêtée entre eux. L impératrice n’avait encore admis le partage qu’en principe. La Pologne n’était pas entièrement sacrifiée, elle tenait encore à un fil, dont un bout était en Russie, et l’autre en France.

Le duc d’Aiguillon, comme le duc de Choiseul, avait, pressenti le partage, il ne se faisait aucune illusion sur la conduite si double de la cour de Vienne ; mais comme avant tout il voulait plaire aux cabinets étrangers, que ce système de complaisance lui semblait la base la plus solide de son crédit, il chercha, dès le premier jour de son arrivée au pouvoir, ce qu’on appelle aujourd’hui un éditeur responsable, qu’il lui fût facile d’accuser de négligence et d’impéritie, et sur lequel il pût se décharger du blâme d’un événement qu’il prévoyait sans songer à l’empêcher, et, soyons juste, sans pouvoir l’empêcher. M. d’Aiguillon s’efforça donc de trouver un homme d’un rang assez élevé pour représenter une dignité, d’un esprit assez cultivé pour ne pas paraître trop au-dessous de sa place, mais dissipé, étranger à la politique par son état et par son âge, et qui, énervé par les petites convenances du grand monde, se laissât accuser plutôt que de se défendre. Le ministre voulait surtout que cet apprenti diplomate fût très dérangé dans ses affaires, afin que, si par extraordinaire, il avait la velléité de parler, on pût le faire taire avec des abbayes, des pensions, enfin avec ce qu’on appelait alors les bienfaits du roi. Il crut rencontrer toutes ces qualités dans le prince Louis de Rohan, coadjuteur de Strasbourg, très grand seigneur, d’une naissance presque souveraine, jeune et sans expérience, doué d’une vanité qui devait tomber dans tous les panneaux,