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à M. d’Aiguillon ; mais le duc, qui avait fondé ce qu’il croyait son système sur l’union avec la Prusse, trahit Kaunitz pour Frédéric, qui se hâta de divulguer à Vienne les confidences du ministre français. Dès ce moment, tout fut perdu, et il ne resta plus aux trois puissances que de se concerter aux dépens de la Pologne[1].

L’état intérieur de ce pays secondait plus que jamais les desseins de ses ennemis ; la situation des Polonais dans les cours étrangères n’était plus favorable : M. d’Aiguillon n’avait rien changé en apparence aux dispositions de son prédécesseur à l’égard des confédérés, reconnus comme une autorité constituée, le trône de Pologne étant censé vacant. Un envoyé accrédité par eux, le comte Wielhorski, résidait à Versailles et traitait directement avec le ministre, qui leur avait promis l’envoi d’officiers expérimentés et la continuation d’un subside. M. de Viomesnil partit pour la Pologne, accompagné de M. de Choisy et d’autres militaires distingués ; mais les affaires de la confédération étaient entièrement perdues. La discorde s’était mise entre Casimir Pulawski, vaillant condottiere, mais violent, indiscipliné, intraitable, et le colonel Dumouriez, dont la hauteur méprisante avait révolté les Polonais. Cette mésintelligence amena ses conséquences naturelles. Dans un combat décisif et sanglant livré sous les murs du château de Lanskorona, les confédérés désunis furent défaits par les Russes, et Dumouriez, qui avait bravement combattu dans leurs rangs, désespérant du salut de la république, emporta la correspondance du gouvernement français. Viomesnil arriva trop tard.

Un incident nouveau acheva d’ôter aux confédérés de Bar le crédit moral qui aurait pu survivre à leurs défaites. La nuit du 3 septembre

  1. C’est ce qui résulte d’une lettre écrite au roi Louis XV par le prince Louis de Rohan à la fin de novembre 1773.
    « Sire, je ne me plains pas de M. d’Aiguillon, mais, quand même votre majesté pourroit soupçonner quelque partialité de ma part, elle en jugera, et je franchirai ce risque pour m’acquitter de mon devoir, en révélant à votre majesté ce que je ne puis taire plus long-temps. C’est, sire, l’opinion désavantageuse que l’impératrice, l’empereur et le prince de Kaunitz ont de M. d’Aiguillon. L’empereur et le prince de Kaunitz m’ont dit qu’ils ne pouvaient avoir de confiance en lui, puisque c’était par son indiscrétion, en instruisant l’envoyé du roi de Prusse près de votre majesté, et de la position critique de leur cour, et du peu de secours que la France lui porteroit, que la maison d’Autriche s’est trouvée dans la nécessité de changer de ton, d’être dans une sorte de dépendance du roi de Prusse, surtout depuis qu’il est si étroitement lié avec la Russie, liaison qui ne se seroit pas formée, si la maison d’Autriche avoit été à portée de secourir la czarine. C’est après et par cette indiscrétion que la cour de Vienne s’est vue dans l’impossibilité de prévenir et de détourner les malheurs qui ont accablé le Nord. Le roi de Prusse a révélé lui-même à la maison d’Autriche tout ce que M. d’Aiguillon avoit dit… Les choses étant ainsi, la cour de Vienne eut à se décider promptement. Telle est la cause du secret qu’on a gardé si long-temps à votre majesté, et telle est la source de tous les malheurs qui ont ravagé la Pologne. » — Archives des affaires étrangères.