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vers nous par une éducation toute française, par le plus vif penchant pour nos goûts, nos plaisirs, nos usages ; auraient dû former le noyau d’un parti attaché à la France ? Cette élite de la société polonaise n’aurait-elle pas dû puiser à Versailles des encouragemens et des inspirations ? Il arriva tout le contraire : c’était le parti français mais ce n’était pas le parti de la France.

Le ministère de Louis XV n’en prit point la direction, uniquement en haine des lettrés et des philosophes. Ce fut la Russie qui se substitua à lui. On reproche à Voltaire de n’avoir pas fait cause commune avec le gouvernement de son pays ; mais ce n’est pas Voltaire qui a rompu avec Louis XV, c’est Louis XV qui a rompu avec Voltaire. Le parti français devint alors le parti de la Russie. Attentive à s’emparer de ce qui est vivace, Catherine II protégea en Pologne le génie du progrès, qui était alors le génie de la France, et ne lui laissa en Pologne que le patronage de l’anarchie, la garde noble d’un cadavre. Indépendamment de l’antagonisme entre l’administration et la littérature, des combinaisons d’alliance matrimoniale nous attachaient au parti soi-disant patriotique. Long-temps la maison de Bourbon avait été l’ennemie de la maison de Saxe, protégée alors par les Russes et opposée à Stanislas Leczinski, père de Marie, reine de France ; mais plus tard tout changea. Auguste III se brouilla avec les Russes, donna sa fille à M. le dauphin, et dès ce moment la cour de Versailles protégea en Pologne la maison de Saxe et le parti rétrograde. L’alliance du parti réformateur avec la Russie devint la conséquence inévitable de ce revirement impolitique. Le parti des Czartoriski devint alors le parti russe. L’un des chefs de l’anarchie légale, le prince Radziwil, qui soutenait le roi Auguste III, attaqua les Czartoriski à main armée. Comme palatin de Vilna, il présidait le tribunal de cette ville, capitale de la Lithuanie. Un des innombrables abus de la constitution de Pologne abandonnait à la brigue la formation des tribunaux de province. C’est après une lutte souvent sanglante que la faction victorieuse formait un tribunal, qui livrait ses adversaires aux sévices et leur fortune à la dévastation. Les Czartoriski avaient d’abord joui en Lithuanie de ce privilège anarchique ; ils en avaient profité pour ravager Nessviez, château du prince Radziwil, sous prétexte d’assurer le paiement de ses dettes ; cela s’appelait en Pologne faire une exécution. Maintenant, Radziwil avait son tour ; il prenait une cruelle revanche. Il faisait brûler ou séquestrer les châteaux, les fermes, les starosties de la famille rivale. Les Czartoriski auraient été en droit de s’en plaindre au roi, mais ce prince protégeait Radziwil. D’ailleurs malade à Dresde, Auguste III ne s’occupait plus de la Pologne. Ce fut alors que les Czartoriski se tournèrent vers Catherine II. L’armée russe fut appelée par eux, et entra, à leur demande expresse, sur le territoire de la république.