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vous retournez, comme auparavant, aux journaux, à la polémique, au spectacle de votre époque. Cela au moins est émouvant et réel, et, si ce fracas ne réjouit pas votre esprit, au moins il fatigue votre corps. Le hasard invente mieux que les poètes du monde entier ; il compose avec autant d’habileté et de logique, il crée et travaille au jour le jour comme nous le faisons tous. — Cependant cet affaissement profond, cette impuissance, d’où vient-elle ? Est-elle un effet de la sénilité des civilisations en Europe ? est-elle un effet de l’adolescence des peuples nouveaux, de la civilisation américaine par exemple ? Quelles sont les causes qui, en Amérique et en Europe, paralysent la vie intellectuelle et l’originalité individuelle, qui étendent sur toutes les productions de l’esprit le démocratique niveau ? Les livres, d’un écrivain américain, de M. Henri Longfellow, nous aideront à jeter quelque lumière sur ce triste sujet.

Philosophes, et vous qui ne faites pas profession de l’être, mais qui aimez à penser, avez-vous jamais réfléchi, médité sur le spectacle que présentent à l’heure qu’il est et la France, et l’Europe, et le monde ? Puis, en contemplant ces révolutions, ces catastrophes, ces grandes infortunes nationales et ces passions furieuses, vous êtes-vous demandé quelquefois : D’où, vient donc qu’au milieu de toutes ces convulsions rien ne germe et n’arrive à éclosion ? Pourquoi ne voit-on se manifester aucune grande intelligence ? Pourquoi les fleurs les plus belles de la pensée humaine, la poésie, les arts, demeurent-elles à peu près stériles ? – Ah ! direz-vous, le temps des grandes individualités est passé, désormais les masses sont maîtresses. Voyez plutôt : nous qui sommes journalistes, avocats, professeurs, hommes de lettres, vainement nous réclamons au nom de l’aristocratie intellectuelle. On ne nous répond que par des sarcasmes. — On vous donnera comme aux autres dans la répartition des produits, nous dit-on ; d’ailleurs l’intelligence n’a pas de prix : c’est vous-mêmes qui l’affirmez. Eh bien ! — soit, vous gouvernerez et nous mangerons. – Que voulez-vous donc écrire, enseigner, versifier pour de pareilles gens ? Ils demandent si les arts et la poésie sont des, choses qui peuvent nourrir, et si, comme le dit le philosophe Apemantus dans Timon d’Athènes, ils peuvent servir de manteau, afin de nous préserver de la bise. Le mérite n’est plus récompensé. — Ce ne peut pas être là une bonne raison répondrons-nous ; dans d’autres temps, les masses ont été maîtresses, et le génie individuel n’en continuait pas moins sa marche. Le tocsin et les batailles n’ont jamais pu éteindre la voix solitaire du poète et les méditations du sage. Pendant que, de nos jours, les rues de Paris, mornes et silencieuses, retentissaient du bruit du canon, il y avait dans cette France révolutionnaire d’heureuses vallées où brillait le soleil de juin. Je ne dirai pas qu’il y eut d’insoucians bergers chantant gaiement sur la flûte, mais certainement