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a d’étranges reviremens. Quand on a vu crouler en trois jours un trône de plusieurs siècles, il est permis de douter de la longévité d’une monarchie qui sort à peine du berceau. Je souhaiterais que Gaston ne se pressât point, je voudrais qu’il observât la marche des événemens qu’il attendît quelque temps encore.

— Eh ! madame, est-il besoin d’attendre ? s’écria M. Levrault impatient déjà de tenir et de rallier son gendre. Que représente la royauté de 1830 ? La bourgeoisie. Que représente la bourgeoisie ? La nation tout entière. À ce compte, comment le trône de juillet pourrait-il être renversé ? Il faudrait que la France consentît à se suicider. Je sais bien qu’on rencontre par-ci par-là de petites gens qui se permettent de blâmer les tendances du gouvernement, qui ne se gênent pas pour parler tout haut du prochain avènement de la république…

— De la république ? répliqua la marquise avec dédain ; quelle sottise ! Ces gens-là sont fous. Il n’y a plus de révolution possible en France. Si la nation, usant de son droit, se décidait à briser le trône qu’elle a élevé de ses propres mains, ce ne serait, ce ne pourrait être que pour revenir au grand principe de la légitimité. Il n’est pas impossible qu’un jour elle y revienne. Quoi qu’il arrive, je suis tranquille, je n’ai point à m’inquiéter de l’avenir politique de mon fils. Le trône de juillet peut voler en pièces sans que Gaston coure le risque de rester enseveli sous ses débris. Rallié à la dynastie nouvelle, il ne cessera pas de tenir à l’ancienne par son nom, par sa mère, par les traditions de sa famille ; quels qu’en soient les hôtes, les Tuileries s’ouvriront toujours avec orgueil devant un La Rochelandier.

La marquise se tut, pour laisser à ses dernières paroles le temps de s’infiltrer dans l’esprit de son compagnon et de produire tout l’effet désiré. Silencieux comme elle, M. Levrault savourait avec délices le breuvage enivrant qui venait de tomber goutte à goutte des lèvres de sa compagne. Le monde des honneurs et des dignités se rouvrait devant lui. Le chemin du pouvoir s’aplanissait de nouveau sous ses pas. Tous ses rêves, toutes ses espérances se réveillaient et battaient des ailes. Il retrouvait au centuple ce qu’il avait perdu en perdant le vicomte. C’était lui-même qui rallierait son gendre ; c’était à lui qu’en reviendraient l’honneur et le profit. Rallier un marquis, un La Rochelandier, quelle aubaine ! La cour aurait à compter avec lui ; M. Levrault était bien décidé à lui tenir la dragée haute. On n’aurait pas un La Rochelandier pour rien ; il faudrait qu’on y mît le prix. Pour surcroît d’avantages, point de changement de dynastie à redouter ; quoi qu’il arrivât, Gaston retombait sur ses pieds, et M. Levrault sur son gendre. Ainsi, tout lui souriait, tout l’attirait ; il ne découvrait de toutes parts que joies, satisfactions, promesses, sécurité. Il ne s’agissait plus que d’amener la marquise à consentir à une alliance avec les Le-