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bout du Prater de Vienne, qui deviendra de plus en plus une capitale de plaisance, au lieu d’être une capitale politique.

Nous ne sommes pas étonnés que la gravité de la question turque, considérée de ce côté, ait frappé tous les esprits en Europe ; nous ne sommes pas étonnés que l’Angleterre, qui voit s’approcher la grande lutte qui finira l’Europe, s’émeuve tout entière, et qu’elle veuille entraîner la France dans ses colères et dans ses prévoyances. Nous penchons, quant à nous, pour l’alliance anglaise ; seulement nous faisons quelques réserves.

La première est un long et instructif souvenir de 1840. En 1840, l’Angleterre était depuis dix ans notre alliée intime. Elle nous a cependant sacrifiés le plus lestement et le plus dédaigneusement du monde. Nous nous sommes un beau matin trouvés seuls contre toute l’Europe, et cela par le fait de l’Angleterre. Il ne faut pas l’oublier. Cela ne doit pas nous faire rejeter l’alliance anglaise ; cela doit seulement nous avertir que nous devons, à l’exemple de l’Angleterre, n’être son alliée que dans la mesure de nos intérêts véritables, et que les sentimens ici ne sont pas de mise.

La seconde réserve que nous faisons, c’est que l’action que nous exercerons pour la défense de la Turquie sera purement maritime. Nous n’entendons pas commencer une guerre continentale. Une guerre continentale serait la guerre de l’Angleterre contre la Russie. C’est cette guerre-là que nous ne devons pas faire. Une guerre maritime est seulement une guerre de protection en faveur de la Turquie. C’est la guerre qui sort de la question actuelle ; nous n’entendons pas que la guerre soit plus grosse et plus étendue que la question qui l’aura enfantée. Nous savons bien que les distinctions que nous faisons en ce moment seront inapplicables, une fois la guerre commencée. La guerre ne pourra pas être maritime sans devenir bientôt continentale ; cela est vrai : raison de plus pour n’entrer dans cette guerre qu’à bon escient ; raison de plus pour qu’il soit bien entendu que nous faisons la guerre pour soutenir la Turquie dans la question présente, mais que nous ne faisons pas une croisade contre la Russie avec et pour l’Angleterre.

Nous avons cru devoir indiquer, dès le commencement de la question turque, de quelle manière nous la considérons, à ne regarder que l’état extérieur de nos relations. À regarder notre état intérieur, nous sommes encore plus convaincus que nous ne devons faire de guerres que celles qui sont inévitables, celles où notre intérêt et notre honneur sont évidemment engagés.


Un incident qui ne peut point en lui-même avoir, de suites bien graves, mais qui mérite cependant d’être apprécié, a récemment éclaté entre notre diplomatie et celle de l’Amérique du Nord. Depuis son origine, dont nous avons bien quelques raisons de nous souvenir, ce pays nous est uni par une permanente communauté d’intérêts, à laquelle notre dernière révolution est venue ajouter la similitude des formes de gouvernement. Nous n’ignorons pas que les hommes d’état de l’Amérique, en cela, d’ailleurs parfaitement habiles et sagement pratiques, ne prennent point plus que de raison souci de la forme des gouvernemens avec lesquels ils sont en relations. Nous savons bien, par exemple, qu’ils n’ont nulle répugnance à vivre en bonne amitié avec la Russie, et nous