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le partage de la pologne.

ses généraux de pénétrer avec les Russes, en qualité d’auxiliaires ; jusqu’au cœur de la Pologne. Le roi de Prusse ne voulait pas afficher la part qu’il prenait à l’élection ; Catherine, au contraire, voulait qu’il y prît une part ostensible et publique. Chacune des deux parties contractantes apportait son caractère particulier dans cette négociation ; Catherine aimait la rapidité et l’éclat, Frédéric préférait des moyens plus cachés, qu’il estimait plus sûrs ; elle, semblable au timbre sonore de l’horloge, lui, aux rouages intérieurs, ame secrète du mouvement. Ils finirent par s’accorder, et dès ce moment Frédéric, complaisant et facile, n’opposa aucun obstacle réel, aucune objection sérieuse aux desseins de son alliée ; il adopta tout ce qu’elle avait choisi, appuya tout ce qu’elle protégeait, condamna tout ce qu’elle voulait proscrire. Quelquefois cependant il se permettait quelques sarcasmes, il se livrait à des boutades passagères. Un jour, il imagina par caprice la candidature du prince Henri ou du prince de Brunswick ; une autre fois, il affecta de voir avec peine la Courlande, devenue province de l’empire de Russie, enlevée à la suzeraineté de la Pologne ; il poussa même l’artifice jusqu’à encourager secrètement les plaintes de plusieurs Polonais attachés au prince Charles de Saxe. Ce n’était là qu’une sorte de comédie politique propre à réveiller l’attention d’une amie trop disposée à la négligence[1]. Catherine s’inquiétait, faisait parler, écrivait elle-même, et on démentait les faux bruits ; mais le temps pressait, il fallait conclure. La chance de voir la Russie retourner à l’alliance autrichienne, adroitement présentée par Catherine, détermina Frédéric. Frappé de cette crainte, il ordonna au comte de Solms, son ambassadeur à Pétersbourg, de signer le traité avec le comte Panin, ministre des affaires étrangères de Russie. Les deux alliés se garantirent mutuellement toutes leurs possessions en Europe contre qui que ce soit, en cas d’attaque ; l’impératrice et le roi s’engagèrent mutuellement à ne pas permettre à quelque puissance que ce fût de dépouiller la république de Pologne de son droit de libre élection, de rendre le royaume héréditaire, ou d’y établir le pouvoir absolu. Les deux souverains promirent

  1. « Il n’est plus question aujourd’hui de démembrement : soit que je doive ajouter foi à ce que disent les ministres russes, qu’ils n’ont jamais pensé à attaquer l’intégrité de la Pologne, soit que les dispositions unanimes que toutes les puissances ont manifestées en dernier lieu de s’opposer à un tel projet aient fait sentir le danger d’en poursuivre l’exécution, il paraît certain que la Russie n’entreprendra point de faire des conquêtes dans ce moment. J’ai discuté cette matière avec M. le vice-chancelier, et il est convenu qu’il était non-seulement de l’intérêt de cet empire de maintenir l’étendue des possessions de la Pologne, mais encore de ne jamais souffrir qu’aucune autre puissance s’agrandit à ses dépens. Ce ministre m’a fait mille protestations de la pureté des intentions de l’impératrice à cet égard ; il a ajouté qu’il était possible que le roi de Prusse eût des vues moins désintéressées, mais que je devais être certain que la Russie les combattrait, si elles venaient à éclore. » Bérenger à Praslin, Saint-Pétersbourg, 20 décembre 1763.