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insupportable ennui. Par suite, je ne sais quelle fadeur se répand sur son enseignement tout entier. Il fait sa besogne tant bien que mal, comme on fait ce qui vous coûte et ce qu’on est pressé d’avoir fini, avec la résignation indifférente qu’on accorde à une pénitence ; il est le premier à presser ses meilleurs élèves de le devancer sur cette route de Paris où il espère bien qu’ils ne l’attendront pas bien long-temps.

Voilà comment, du haut et d’en bas, par le fait des professeurs et des élèves, l’éducation publique dépérit dans les départemens, tandis qu’elle reçoit à Paris une vie fébrile et exubérante. Rien cependant n’est plus contraire au véritable esprit de la science ; rien n’est plus dérogatoire aux bonnes règles de l’enseignement ; rien ne porte un coup plus mortel à la vie politique et morale des départemens ; rien n’atteint, par un désordre plus fatal, l’équilibre de la société tout entière. Depuis quand d’abord a-t-on la pensée que l’atmosphère enfumée et orageuse des grandes villes et leur sol incessamment remué conviennent à cette plante de lente croissance, avide d’air et de solitude, qu’on appelle la science ? Nos pères du moins, dans l’âge de la science par excellence, ne le pensaient pas ainsi. Ces monumens de leur érudition, qui écrasent notre imagination autant que les arceaux de leurs cathédrales, n’ont pas pris naissance dans le tumulte des cités. C’est dans des monastères perdus au fond des vallées, ou dominant, du sommet de quelque hauteur, l’étendue et le bruit des plaines habitées, que l’esprit, s’élevant entre la contemplation et la prière, rendait à la science, après Dieu, un culte sans partage. Sur les pas de la religion qui les guidait alors, les établissemens d’éducation proprement dits semblaient tous se presser vers la solitude. À l’exception de Paris, qui a montré de bonne heure sa tendance envahissante, aucune des célèbres villes d’universités, ni Salamanque, ni Bologne, ni Louvain, n’étaient des capitales d’un grand état ; c’étaient des villes élues, dont les études étaient la grande affaire, et les étudians la principale population. Même au milieu des merveilles du grand siècle, la sèche, mais forte école de Port-Royal se faisait volontairement, aux portes de Versailles, un simulacre de désert. Encore aujourd’hui, de l’autre côté de la Manche, où s’est conservé tout ce qu’il y avait de sain dans les institutions d’autrefois, les universités britanniques offrent le même spectacle. Quand on a vu ces étudians anglais, aux membres élancés et aux faces roses, errer dans les riantes plaines d’Eton, ou se promener, leurs livres d’études sous le bras et vêtus de la robe classique, dans les rues gothiques et paisibles d’Oxford, on ne peut songer sans soupirer à notre enfance étiolée qui se débat huit ans dans nos préaux de collège, et se précipite ensuite en bouillonnant, dans je ne sais quel cloaque impur du faubourg Saint-Jacques. Nous sommes la seule nation qui ait imaginé d’assurer la tranquillité des études en entassant toutes les écoles