seul fût un homme d’état complet et qu’il ait entièrement échappé à son temps. Il avait une imagination trop vive, une main trop prompte, une légèreté trop superbe. Avec beaucoup d’esprit il se mettait trop souvent dans la nécessité d’avoir du génie. Comme tous les artistes en politique, il se préoccupait avec passion d’une seule affaire à la fois et négligeait facilement toutes les autres. Au lieu de les ramener toutes à un centre, il les subordonnait d’une manière trop exclusive à l’épisode favori du moment. Depuis son entrée au ministère, le duc de Choiseul avait appliqué les forces de sa volonté et de son intelligence à la conclusion du pacte de famille. Unir étroitement l’Espagne et la France, donner à la maison de Bourbon, dans la personne de son chef, la conduite de toute l’Europe méridionale, c’était là sans doute une conception élevée et vraiment originale mais, malgré les succès du gouvernement de Charles III, la réforme de l’Espagne, plus superficielle que profonde, plus apparente que réelle, n’offrait peut-être pas un gage suffisant de durée, une base assez solide à tout un système politique. Les événemens postérieurs semblent le prouver. Cependant, comme la marine espagnole était encore très imposante, et qu’après tout il était impossible de prévoir le prince de la Paix et la bataille de Trafalgar, Choiseul pouvait se faire illusion, et se la fit complètement. L’avènement de Catherine II et la mort d’Auguste III le trouvèrent absorbé par le Midi ; le tour du Nord n’était pas encore venu pour lui, et, lorsque la scène politique fut brusquement occupée par la Russie et la Pologne, Choiseul essaya de ne point y porter ses regards, attirés par le soleil de Madrid et de Naples.
D’ailleurs, au moment de cette crise septentrionale, il n’était point ministre des affaires étrangères ; depuis 1760, il ne s’était réservé que les négociations d’Italie et d’Espagne, abandonnant le reste au duc de Praslin, un de ses parens, homme d’un caractère apathique, entièrement dévoué aux volontés de son cousin, qui, plus occupé de littérature que de politique, recevait tantôt deux portefeuilles, tantôt la moitié d’un, et se laissait transvaser d’un ministère à l’autre sans y prendre garde et sans demander pourquoi. Aussi, malgré l’Almanach royal, est-ce de M. de Choiseul et non de M. de Praslin qu’il faudra parler désormais.
Il semble qu’une sorte de sympathie née de quelques rapports d’esprit aurait pu s’établir entre l’impératrice Catherine et le duc de Choiseul. À la légèreté près, défaut qu’on ne saurait imputer à la première, leur caractère n’était pas sans analogie. Tous deux portaient avec aisance le fardeau du pouvoir, tous deux étaient intrépides ; l’attrait d’un mutuel courage aurait dû les approcher. Il n’en fut pas ainsi. Choiseul ne sut pas comprendre Catherine ; il ne devina point la destinée de cette femme extraordinaire. Par suite d’une prévention à