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apprenaient des soldats. Leurs mœurs, chaque jour, se ressentaient de la tradition militaire. Ainsi le pugilat disparut et fit place à des combats plus nobles. L’humanité gagnait à ce changement. J’ai vu dans les premiers jours de la garde mobile un duel en règle aux armes naturelles ; je ne sais point plus sauvage spectacle. Sur un des paliers de la caserne, où aucune police n’était alors établie, un grand cercle s’était formé, et dans ce cercle deux hommes étaient en présence la poitrine nue, les jambes couvertes d’un mauvais pantalon, les pieds chaussés de bottes destinées à jouer un grand rôle dans la lutte. Les adversaires se mirent en garde dans cette attitude parisienne qui n’a ni la dignité, ni la grace des attitudes de gladiateurs ; puis la grêle des coups de pied et des coups de poing commença, et bientôt des lèvres fendues, des nez écrasés, le sang se mit à jaillir. On entra alors en plein dans la phase féroce du combat. La victoire fut un certain temps indécise ; on échangeait toutes les blessures que peuvent se faire des hommes sans armes ; les mâchoires mêmes étaient du jeu ; un des champions fut mordu à la joue. Enfin il y eut un corps qui roula sur le carreau. On pouvait croire le duel fini ; point du tout. On sait le rôle que jouaient les poignards de miséricorde chez les raffinés du temps de Louis XIII ; ce rôle-là est joué par la botte chez les boxeurs parisiens. Le vainqueur s’approcha de son adversaire étendu à terre, et, au milieu du cercle silencieux, lui déchira le visage d’un coup de talon ; on porta le vaincu à l’hôpital, et je ne sais pas trop s’il en est sorti, du moins par la porte des vivans. En ce temps-là, pareils faits n’étaient que des bagatelles, surtout dans une caserne de mobiles. C’était le temps où Marc Caussidière avec son grand sabre rappelait la police primitive qu’Hercule faisait avec sa massue.

Temps bizarre ! que de scènes me reviennent ! Parmi les plus étranges, je dois placer celles qui se passèrent dans nos casernes au sujet des élections. Le moment était venu auquel les volontaires devaient, d’après les termes du décret qui les constituait en corps armé, se donner des chefs. Un matin, on nous lut à l’appel de onze heures un ordre du jour du général Duvivier. Le général Duvivier, comme on s’en souvient sans doute, était notre commandant supérieur. C’était une de ces natures comme il s’en rencontre quelquefois dans l’armée, qui se sont exaltées et enflammées, au lieu de s’abaisser et de s’éteindre dans la vie militaire. L’exaltation du général Duvivier avait quelque chose de mystique elle était née dans le même pays que celle de saint Augustin et de saint Jérôme : elle venait de l’Orient. J’ai eu récemment entre les mains le recueil complet des ordres du jour du général Duvivier. Il n’est point, pour ainsi dire, une de ces œuvres, — car ce sont de véritables œuvres littéraires, — où ne se trouvent de grandes images empruntées à la vie du désert et les immortelles pensées de Dieu, de l’ame, d’un monde futur.