Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/451

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui font son danger et son charme. Toutes les orgues chantaient nos exploits, que retraçaient toutes les gravures. Les vieillards se découvraient quand nous passions, et les femmes devenaient, pour qui portait un shako rouge, ce qu’étaient les visitandines pour Vert-Vert. Puis Paris, tout d’un coup, nous retira ses faveurs ; Paris nous déclara maussades, mutins, tapageurs, mal sûrs, insupportables. « il est bien heureux, disait une aimable personne qui, deux mois auparavant, aurait voulu pouvoir mettre à l’Opéra toute la garde mobile dans sa loge, que vos petits monstres n’aient pas tourné. »

Paris enfin, nous bannit et envoya notre jeune gloire, comme une vieille mode, à la province. Notre vie cessa d’être mêlée à la vie publique. Mon récit, et c’est pour cela que je l’arrête, ne serait plus maintenant qu’une succession de souvenirs et d’émotions qui me sont tout personnels. Or, je n’ai jamais été enclin aux confidences. Je suis d’avis qu’un écrivain ne doit pas être absent de son œuvre, mais je ne veux pas qu’il soit son œuvre tout entière. Ce n’est pas pour moi d’ailleurs que j’ai écrit ces pages, c’est pour mes petits monstres, comme disait cette personne que mes petits monstres ont peut-être sauvée d’étranges dangers. Je crois qu’on connaît à présent ces braves enfans tels que je les ai vus à la caserne et au combat, à toutes les heures de la vie, même à l’heure suprême, à celle où l’on découvre but à coup quel trésor enfermait celui-ci, quelle indigence celui-là cachait. Ma destinée me séparera sans doute des compagnons inattendus qu’une révolution m’a donnés : ma mémoire n’oubliera point ces hardies et joyeuses figures, ces vifs esprits, ces cœurs dévoués. Je me rappellerai ceux qui, par un mouvement spontané de leur cœur, me nommèrent leur chef, n’importe en quel lieu et parmi quels hommes me conduira la profession que j’ai choisie pour concourir sans remords et sans dégoût aux œuvres de mon pays et de mon temps.


PAUL DE MOLÈNES.