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races plus fortes de l’Europe : ce sont les fils des premier colons, les descendans de ces énergiques Bretons enrôlés pour la conquête de Madagascar, et tombés avec le temps dans un abâtardissement qui semble particulier à Bourbon. Leur nom, dans le pays, les caractérise parfaitement : on les appelle petits blancs, petits créoles. Leur nombre croissant, non pas qu’ils se reproduisent avec exubérance, mais parce qu’ils se recrutent dans les familles de descendance européenne que l’oisiveté, la paresse, la misère, font tomber chaque année à leur niveau. C’est une sorte de crétinisme qui s’est attaché à la race européenne dans cette île, comme la lèpre, ce hideux fléau dont l’Europe a su s’affranchir, semble y avoir aussi pris racine, marquant d’une altération profonde et invétérée une partie assez notable de la population, même parmi les familles riches. Les léproseries qu’on rencontre sur divers points de la côte reportent involontairement la pensée au moyen-âge de la France. D’où vient cela ? Est-ce tout simplement l’effet de la misère qui appauvrit les sources de la vie et arrête le développement de la race ? Ou bien l’île Bourbon, terre nouvellement sortie de la fournaise des volcans manque-t-elle donc de la sève nécessaire à l’entretien et à la reproduction des races énergiques de l’humanité ? Est-il vrai, que le noir même le plus rude de la côte d’Afrique, transporté dans l’intérieur de l’île, s’y dépouille promptement de sa férocité et prenne la douceur du petit créole ? Enfin, faut-il rapprocher de ce fait essentiel à la nature humaine ce qu’on observe dans le règne végétal, où diverses plantes, — dont les analogues, dans les terres d’antique formation, constituent des genres bien tranchés, — n’ont pas encore ici des formes bien déterminées et un caractère de famille nettement marqué ? Quoi qu’il en soit, après un premier moment de surprise, on reconnaît que le petit créole est l’Européen, moins la force musculaire, son ressort, son énergie, son activité d’esprit, moins aussi ses aspirations ardentes à la richesse et à la puissance[1].


II

Bourbon, nous l’avons dit, dut sa réputation et ses premières richesses à la culture du café d’Arabie, qui réussit heureusement sur son sol montueux, accidenté de vallons et de coteaux d’une déclivité rapide, recouvert d’une terre légère, sorte de détritus volcanique, et naturellement ombragé. L’esprit des colons se passionna pour ce produit exotique, si heureusement naturalisé, qui bientôt se trouva lié à

  1. Les premiers voyageurs qui ont parlé de ces petits blancs les ont peints sous les traits énergiques de hardis chasseurs de chèvres et de noirs marrons : il parait que ces traits se sont effacés en même temps que le gibier a disparu de l’île, et que le marconnage a cessé.