coude à coude, front à front, vont, reviennent comme le flux et le reflux des vagues. L’odeur de l’arack s’exhale de toutes les poitrines, sort par tous les pores, mêlée à la forte senteur du Malgache ; l’air s’emplit d’exhalaisons enivrantes ; les cris, les battemens de mains les trépignemens redoublent, l’ivresse et la joie sont au comble, les chants deviennent frénétiques. Malheur à l’homme assez mal avisé pour se mêler à ce groupe en fureur ! Vrai frélon au milieu d’une ruche d’abeilles, il s’exposerait au sort d’Orphée tombé aux mains des bacchantes sur les bords de l’Hèbre. Aucune limite naturelle ne marque la fin de la fête : tant que l’arack dure, le soleil se lève et se couche sur ces éclats de joie furibonde. Parfois quelque danseuse tombe d’épuisement ; elle se retrempe dans une léthargie passagère : au moment où ses yeux se rouvrent, un verre d’arack la remet sur ses pieds et lui rend la voix. Enfin, quand la barrique d’arack est desséchée, les chants s’éteignent, les membres s’affaissent, un sommeil profond couvre le champ de fête, devenu silencieux et morne, et tout jonché de corps insensibles.
Mais ce n’était pas pour observer les tribus exilées des Betsimsaraks que le commandant de la station navale de Bourbon était venu s’établir à Sainte-Marie. Il préparait ses armes, exerçait ses équipages aux manœuvres de la guerre, leur inspirait l’esprit des combats, et l’œil fixé sur la grande terre, surveillant les côtes et tous les mouvemens de l’intérieur, nouant partout des intelligences, il attendait l’occasion d’y faire rentrer l’influence armée de la France. Il faut se rendre compte de l’état du pays. Madagascar, on le sait, embrasse quatorze degrés de latitude dans l’Océan indien. Une chaîne de montagnes, qui s’étend dans toute sa longueur, en occupe le centre et forme, pour ainsi dire, sa charpente osseuse. Les côtes de la mer sont basses, marécageuses, coupées de lacs, de rivières au cours tranquille comme des canaux naturels et facilement navigables pour les pirogues, d’une fertilité qu’on ne retrouve qu’aux Philippines et dans les îles de la Sonde. La population n’y est point groupée dans une nationalité commune ; elles se compose de tribus d’origines diverses dans lesquelles dominent trois types : le cafre, l’arabe, le malais. Quel que soit le nombre de ces tribus, il n’y a politiquement que deux races : le peuple conquérant et le peuple vaincu. Le premier, montagnard énergique, actif, laborieux, doué d’un instinct de discipline, fait pour commander, c’est la nature hôva ; le second, en grande partie riverain de la mer, énervé par les brises tièdes de la côte, par les chaudes émanations des marais, paresseux, haïssant toute discipline, livré au vagabondage, fait pour servir. Ce n’est pas seulement à leur résidence dans les hautes terres que les Hôvas doivent leur caractère entreprenant et leurs instincts de domination : ils sont de cette race malaise, qui est évidemment supérieure