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nous, on verra se soutenir les riches habitations, malheureusement en très petit nombre, situées dans des conditions favorables soit de culture, soit d’exploitation, soit d’habile direction, qu’une hypothèque ne grève et qui peuvent faire de grandes avances ; mais les petites entreprises et toutes celles qui n’ont pas une vitalité énergique tomberont successivement. Qu’on n’oublie pas qu’à Bourbon l’industrie sucrière est un peu précaire : la canne n’y trouve pas, comme dans les îles de la Sonde, une vie exubérante dans un sol profond, inépuisable, dans les feux d’un soleil équatorial. Bourbon est presque à la frontière de la zone propre au roseau à sucre, qui exige là des soins attentifs, incessans, coûteux ; la maladie qui l’a saisi depuis quelques années inquiète les esprits sur les chances futures de sa production. Et quelle autre culture pourra attirer en aussi grand nombre les navires de l’Europe et alimenter le commerce maritime ? Malheureusement le café a été bien délaissé ; les créoles prétendent même que la terre, épuisée par la canne, n’offre plus guère de chances de gain dans l’exploitation des cafeiries. Les petites cultures en vivres du pays se multiplieront ; mais quel profit en tirera le commerce d’exportation ?

Eh quoi ! l’éclat que la race blanche avait porté sur cette terre du tropique va-t-il disparaître ? et doit-elle donc elle-même s’effacer ? Le sol va-t-il perdre sa fécondité ; l’espèce humaine, sa dignité et sa beauté ? Une race inférieure va-t-elle succéder ? la civilisation va-t-elle rétrograder ? le gouvernement provisoire n’aurait-il décrété qu’un retour vers la barbarie ? Le nègre (tout l’annonce du moins), le nègre périra ou croupira dans sa paresse et dans son indolence ; la civilisation de l’Europe n’a sur lui aucune prise. Le travail, qui chez nous relève l’homme, l’esprit du capital, qui donne à nos sociétés modernes tant de forces, tant de puissance, tant de bien-être, en faisant contribuer par l’accumulation le labeur des siècles passés au bonheur des générations présentes, rien de tout cela ne répond aux instincts bruts du noir. Dans ces climats, on dirait que le génie de la liberté, comme Saturne, dévore ses propres enfans et engloutit les nations. Le nègre se retirera avec les petits blancs dans les lieux les plus sauvages et les moins accessibles de l’île, vivant de chasse, de pêche, de quelques fruits et légumes qu’il aura nonchalamment fait pousser, — apparié au rebut des négresses fixées près de lui par un instinct analogue ; c’est une race qui s’amoindrira et se détruira peu à peu. Quant aux familles blanches ruinées par le décret d’affranchissement, ou elles fuiront, ou bien la misère en réduira le plus grand nombre à l’état de petits créoles. Ainsi, dans toutes les classes, l’espèce humaine semble devoir s’abaisser d’un degré ! La femme créole, cette merveille de la création, va-t-elle donc être remplacée par la négresse et la mulâtresse ? Celles-ci actives, provoquantes lascives, douées d’un vif instinct de volupté ou de coquetterie,