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Après l’insurrection du Canada, il y a dix ans, et lors de l’affaire Mac-Leod, il arriva à lord Palmerston, dans la chambre des communes, d’appliquer à la population du Maine, clair-semée sur un, vaste territoire, au milieu de forêts encore vierges, l’épithète de wild, qui pouvait s’interpréter par aventureuse, mais que les Américains prirent dans le sens de sauvage, non civilisée. La législature du Maine décréta des levées d’hommes et d’argent et n’épargna rien pour entraîner l’Union dans une guerre avec l’Angleterre ; la conquête du Canada pouvait seule punir l’insolence du ministre anglais ; aujourd’hui encore, la douleur de cette insulte imaginaire est à peine assoupie.

Cette susceptibilité ombrageuse et implacable ne peut être désarmée que par des éloges sans restriction ; elle ressent la critique comme une mortelle injure. Tout bon Américain avoué à une éternelle exécration le nom du capitaine Marryat. Quant à mistriss Trollope, qui, venue en Amérique avec des préjugés whigs, et une prédisposition à tout admirer, a déclaré à son retour que le spectacle de la démocratie américaine l’avait fort réconciliée avec la pourriture de la vieille Angleterre, elle n’est plus, pour les feuilles américaines, l’auteur de romans spirituels et amusans ; c’est une abominable furie. Le désappointement le plus cruel pour les Américains leur est venu de Dickens. L’écrivain radical était très populaire aux États-Unis ; il y fut l’objet d’un grand empressement et de la plus vive curiosité ; on s’étouffait pour le voir, on s’arrachait les billets de spectacle les soirs où il allait au théâtre ; on se précipitait dans les bateaux à vapeur sur lesquels il prenait passage ; les journaux enregistraient son costume, ses attitudes, ses allées et venues, ses bons mots. Il était l’événement de tous les jours, le lion de toutes les villes. Le censeur impitoyable des vices aristocratiques, le peintre des mœurs populaires ne devait-il pas trouver son idéal dans les États-Unis ? ce Diogène satirique et railleur de l’Angleterre n’allait-il pas éteindre sa lanterne ? Hélas ! les American Notes for general circulation ne furent qu’un persiflage souvent innocent, parfois caustique des mœurs américaines, et des éloges assez sobres y furent entremêlés de critiques. Dickens, depuis ce jour, a perdu sa popularité en Amérique, ce n’est plus qu’un écrivain médiocre et envieux, et l’on déplore le mauvais goût de ceux qui pensent qu’un peu d’injustice peut s’allier à beaucoup d’esprit.

On se doute bien que ce n’est pas aux écrivains américains qu’il faut demander la vérité sur leur pays. En France, comme chez tous les peuples auxquels il en a coûté très cher pour jouer un grand rôle et remuer le monde, nous sommes devenus assez indifférens à notre propre éloge. Les tirades séculaires sur la grande nation, sur sa mission providentielle, sur ses guerriers et ses lauriers, ne défraient plus guère que les flons-flons du vaudeville, et les orateurs de carrefours. Un livre