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à cette classe de la société américaine, c’est à cette partie des États-Unis qu’il faut rapporter ses jugemens et on doit se garder d’en étendre l’application, de peur qu’ils ne deviennent ou trop favorables ou trop sévères. Par la même raison, toute comparaison entre les États-Unis et l’Europe est nécessairement fausse. On ne peut, sans faire tort à l’Europe ont à l’Amérique, prendre pour l’un des termes de cette comparaison ni les états les plus anciens de l’Union, ni les plus jeunes : si on prend l’ensemble de l’Union américaine, la comparaison est impossible et de nulle valeur, car il n’y a point de similitude entre la vieille Europe avec sa civilisation uniformément répandue et l’agglomération américaine, qui présente tous les degrés de civilisation, depuis les plus avancés jusqu’à l’état sauvage.

Si le développement des États-Unis offre un si vif et si constant intérêt à tous ceux qui en suivent le progrès avec attention, cela tient précisément à cette juxta-position de plusieurs civilisations différentes. Les États-Unis présentent à l’observateur un spectacle sans exemple, celui d’un pays où un déplacement de quelques lieues suffit pour faire voir un seul et même peuple à des périodes différentes de sa vie morale. Jusqu’ici un tel spectacle ne se trouvait que dans l’histoire. Pour nous rendre compte de la manière dont la civilisation s’était répandue et développée chez un peuple, et comment ce peuple s’était transformé peu à peu par la diffusion et l’accroissement des lumières, comment son esprit s’était poli, son intelligence élevée, ses mœurs adoucies, il nous fallait reconstruire péniblement par la pensée les âges écoulés ; il fallait interroger mille auteurs, confronter mille témoignages pour déterminer, à force d’investigations, quel était, à telle ou telle époques l’état moral d’un peuple, pour établir des comparaisons d’une époque à l’autre et tirer de données conjecturales des conclusions toujours contestables. Les États-Unis nous montrent plusieurs âges d’un même peuple réunis sous le même coup d’œil ; le tableau dont l’historien rétablissait à grand’peine les traits indécis et presque effacés, il est là, lumineux, vivant, et prenant des proportions infinies.

C’est là l’étude la plus curieuse à la fois et la plus instructive pour l’historien, le moraliste ou le politique. Les voies de Dieu pour l’amélioration de l’homme et l’accroissement de son bien-être s’y révèlent en traits manifestes. Là se voit en pleine évidence que le progrès est l’œuvre naturelle du temps, qu’il se développe d’une façon d’autant plus sûre qu’elle est plus uniforme, qu’il est d’alitant plus prompt et d’autant plus irrévocable qu’aucune tentative n’est faite pour en violenter et en accélérer brusquement la marche. La Providence, en mesurant les devoirs de l’homme à ses forces et sa tâche à la durée de ses jours, ne lui a pas permis d’anticiper sur l’action du temps ; les générations qui se suivent sont comme les vagues de la mer, dont aucune