non pas représentant au congrès, non pas député à la législature de l’état, non pas conseiller municipal, mais administrateur de son quartier ou marguillier de sa paroisse, il ne se bornera pas à saluer le premier le moindre de ses fournisseurs ; il ira au-devant de lui lui serrer la main et s’informer le sa santé, il se vêtira d’habits communs, il ira à pied. Il n’y a pas vingt équipages à Boston, et pas une famille où il y ait plus de trois ou quatre domestiques tant mâles que femelles, avec des fortunes qui, à Londres ou à Paris, comporteraient une maison de dix ou quinze personnes. Il faut tenir sa porte ouverte à ses voisins, recevoir et rendre leurs visites, qu’il vous soit agréable ou non de les fréquenter ; il ne faut rien négliger pour se faire pardonner sa richesse. Loin de penser qu’à mérite égal il vaille mieux choisir pour la députation des hommes de quelque fortune, dans l’espoir qu’ils seront plus indépendans, on veut, pour toute position élective, des gens pauvres, afin que la crainte de n’être pas réélus les fasse tourner au gré du vent populaire. Sir Charles Lyell, dans une réunion de commerçans, fit tomber la conversation sur un membre éminent du congrès dont la femme venait de recueillir une succession considérable, et demanda quelle influence cet événement pouvait avoir sur sa réélection. Tous, après discussion, tombèrent d’accord que cet héritage ne porterait pas préjudice à la réélection du sénateur en question. Il ne vint à l’idée de personne que l’acquisition d’une fortune indépendante lui donnât une chance de plus.
Si de la Nouvelle-Angleterre nous passions dans les états du sud ou de l’ouest, nous trouverions que cet ostracisme de la richesse est plus complet encore. Un membre du congrès confessait à sir Charles Lyell qu’à chaque réélection il était obligé de mettre ses vêtemens les plus usés pour aller visiter les électeurs, et que, malgré l’énormité des distances, il faisait toutes ses courses à pied, quoiqu’il eût des chevaux sur sa propriété. Un autre, malgré son exactitude à voter avec les démocrates, s’attendait à être impitoyablement rejeté, parce que sa fille, passant quelques jours dans la ville voisine, avait été invitée à un bal dans une famille riche, et s’y était rendue avec des souliers de satin et des volans de dentelle. Le lendemain du bal, le père recevait de ses voisins des lettres qui lui signifiaient de ne plus compter sur leurs voix.
Les riches sont donc, aux États-Unis, dans une situation qui rappelle, à quelques égards, celle des juifs au moyen-âge ; c’est là ce qui explique pourquoi beaucoup d’Américains viennent dépenser leur fortune en Europe. Ceux qui demeurent sont obligés de s’interdire tout éclat, toute apparence d’opulence au dehors ; ils se consolent, comme autrefois les juifs, par le luxe et le comfort intérieurs. C’est de Boston et de New-York que viennent à Lyon les commandes les plus considérables en étoffes de prix ; les riches Américains multiplient autour d’eux les tapis somptueux, les tentures et les meubles de velours