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parfaitement à leur sécheresse. Il faut rougir d’un pareil état, d’autant plus que le motif qui le maintient est encore plus honteux, s’il est possible, pour un grand gouvernement. C’est tout simplement la crainte de mécontenter un certain nombre de petites villes qui tiennent garder une faculté, fût-elle isolée, pour avoir quelques professeurs et quelques élèves à loger et à nourrir, comme elles veulent garder un régiment de cavalerie pour consommer leurs fourrages. Ce n’est pas la seule fois, dans nos institutions, qu’en voyant le char arrêté sur le penchant d’un abîme, on s’aperçoit que c’est un grain de sable qui empêche ses roues de tourner. Ce n’est pas la seule fois non plus qu’on voit nos départemens, qui se plaignent aujourd’hui si hautement de la prépotence de Paris, s’entraver ainsi mutuellement par une jalousie mesquine, et tirer chacun à soi, dans un petit intérêt personnel, quelques parcelles d’administration, qui, séparées du mécanisme général, deviennent inutiles entre leurs mains. Paris est toujours là, qui profite de ces dissentimens puérils, car, avec ses tribunaux, ses écoles, sa division militaire au complet, il a la tunique sans couture dont les autres se disputent les lambeaux. Si nous voulons sauver l’éducation et par suite la société de cette absorption de Paris dont nous avons si longuement, mais, si justement, nous le croyons, dépeint tous les maux, il faut créer au plus tôt, en dépit des difficultés administratives, en brisant les entraves de la routine, de vastes centres scientifiques en province, des capitales intellectuelles, suivant la belle expression d’un des derniers ministres de l’instruction publique ; il faut attirer et retenir la jeunesse dans leurs murs, en donnant à chaque partie de la France un enseignement conforme à ses croyances, respectueux pour ses souvenirs, analogue à son génie naturel.

Or, en y réfléchissant sérieusement, nous ne voyons d’autre manière d’arriver à ce but, non pas seulement désirable, mais nécessaire, qui n’est pas seulement un avantage à gagner, mais une condition sine qua non de notre existence, qu’une réforme hardie sans doute, choquante peut-être au premier coup d’œil, dans le mode de recrutement de notre corps enseignant. Pour que ces centres de province, une fois créés, aient une vie véritable, il faut que chacun d’eux ait un corps de professeurs qui lui appartienne, qui n’ait pas été élevé à Paris ni envoyé de Paris, qui sorte du sein même de l’école, qui ait commencé par y apprendre avant d’être appelé à y enseigner. C’était déjà, à ce que nous croyons savoir, la direction que M. de Salvandy avait donnée aux recteurs en leur remettant la nomination du personnel des collèges communaux. Plus libres dans nos projets que cet homme d’état ne l’était dans ses mouvemens, nous l’appliquerions, sans une rigueur trop absolue assurément, mais comme règle générale, aux professeurs des lycées aussi bien que des facultés. Disons quelques mots pour démontrer que cette innovation serait à la fois praticable et avantageuse.