d’aucun genre. Elles empruntent au théâtre anglais quelques-unes de ses libertés, au théâtre français quelques-unes de ses traditions, à l’érudition à la curiosité modernes quelques traits de couleur locale, quelques incidens de la vie privée chez les anciens ; au milieu de tout cela, qu’oublient-elles ? Tout simplement l’homme, le cœur humain, l’éternelle alliance de l’humanité et de l’histoire, se commentant, s’expliquant l’une par l’autre ; double enseignement, livre immortel dont chaque page doit sans cesse être lue, méditée, traduite par le poète dramatique. On nous apprend ou plutôt on nous redit que l’on se mariait à Rome en partageant un gâteau de pure farine, ou que l’on vouait les gladiateurs à la mort en inclinant le pouce gauche ; mais on ne nous apprend rien de nouveau, on ne nous redit rien de vrai sur cet inépuisable sujet d’émotions et d’études qu’on appelle l’ame humaine. On nous fait pénétrer dans le gynécée de la matrone ou dans la salle de bains, de la courtisane : on ne nous fait pas faire un pas de plus dans ce mystérieux dédale, qu’on nomme le cœur de l’homme, et où chaque découverte est mille fois plus féconde que les recherches patientes de l’archéologue et de l’érudit. On aime mieux être anecdotier comme Suétone qu’historien et moraliste comme Plutarque et Tacite. Aussi, qu’arrive-t-il ? Malgré tout cet étalage, qui devrait seconder si puissamment l’illusion, l’optique théâtrale, on est, en définitive, moins vrai que nos vieux tragiques, oublieux souvent de la couleur locale, gênés presque toujours par les entraves d’une mise en scène de convention, par les exigences matérielles de l’unité de lieu, par l’exiguïté de leur cadre, mais qui, à travers tous ces obstacles, ne perdent point de vue le but du poète, la peinture de l’homme aux prises avec ses passions et ses devoirs, et nous offrant, dans cette lutte, le plus dramatique et le plus sérieux des spectacles. Et en même temps que l’on manque à cette vérité, relative, un peu abstraite, qui ne nous montre qu’un épisode, un chapitre des sentimens humains, mais en en saisissant toutes les grandeurs comme Corneille, ou toutes les délicatesses comme Racine, on n’atteint pas davantage à la vérité de Shakspeare, parce qu’au lieu de chercher, comme lui, dans l’agrandissement du cadre, dans l’oubli de lois trop rigoureuses, un moyen de serrer de plus près l’éternel modèle, de nous montrer, sous tous ses aspects, familiers ou grandioses, le personnage historique ou poétique, de refléter dans les développement du drame les incidens mêmes et les contrastes de la vie humaine, ou n’y cherche qu’un amusement puéril, un frivole éclat de mise en scène, une ressource telle quelle pour rompre ou pour déguiser l’uniformité traditionnelle. Voilà ce que nous reprochons à la plupart des ouvrages représentés depuis quelques années sous le nom de tragédies, et qui ne révèlent, selon nous ni une innovation utile, ni un retour salutaire. Faut-il en conclure que le Testament de César soit une œuvre sans valeur ? Assurément non. Dans un moment où tant de talens distingués s’atténuent et s’amoindrissent, c’est déjà une preuve de force que cette faculté, même incomplète, de remonter à Plutarque, à Shakspeare, de puiser à ces sources intarissables de beauté et de vérité, et de faire circuler parfois, au milieu de scènes froides ou fatigantes, le souffle entraînant, irrésistible, de ces admirables maîtres. Si l’auteur n’a pas su concentrer l’intérêt, créer un lien visible et puissant entre ces tableaux que soutient la grandeur des personnages, des intérêts et des noms, quelques parties soigneusement étudiées révèlent le goût et l’intelligence
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