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devant au hasard, comme un troupeau de moutons, sans autre direction que les invectives de l’automédon, qui criait sans relâche d’une voix perçante : Hi coronela ! capitana ! generala ! et autres noms en a que je ne me permettrai pas de vous transcrire. Enfin un petit postillon chevauchait sur les plus éloignées. Il était si loin de nous, que j’apercevais à peine de temps à autre son petit chapeau sautillant au milieu des tourbillons de poussière que soulevait notre immense équipage lancé au triple galop ; je pouvais le prendre pour un voyageur qui trottait au loin sur la route pour son agrément particulier. Le pays, quoique absolument désert et tout-à-fait favorable aux mauvaises rencontres, ne recelait ce soir-là aucun voleur ; du moins, nous arrivâmes sans accident à Andujar.


II.

Si vous vous rappelez la fameuse romance :

Dans un vieux château
De l’Andalousie,


vous devez vous étonner que je ne vous aie pas dit un seul mot des manoirs qui, suivant l’opinion et pour le bonheur des troubadours, devraient se montrer, de temps à autre à l’horizon. Ces mots de château, de créneaux et d’Andalousie vont bien ensemble, ils éveillent dans l’esprit des images romanesques ; on a bientôt trouvé le cadre d’une chevaleresque et amoureuse histoire d’Abencerrages basanés, de châtelaines à longues mantilles, et de tendres couplets soupirés au son de la mandore, par une nuit étoilée, sous les balcons de pierre. Malheureusement la romance a menti. Il n’y a point de châteaux en Andalousie, il n’y en a point dans toute l’Espagne, excepté Aranjuez et le Pardo ; car, avec la meilleure volonté du monde, on ne peut donner ce nom à quelques villas en très petit nombre bâties à l’entrée des grandes villes. La villa Osuna, dans la banlieue de Madrid, est, je crois, la plus belle de la Péninsule ; elle passe pour une merveille unique dans le monde, et elle ressemble aux maisonnettes d’Auteuil ou d’Enghien. L’exception confirme la règle, et, hors cette bastide, la villa de la comtesse de Montijo, et deux ou trois autres qui avoisinent Barcelone et Valence, on peut affirmer qu’il n’y a point de maisons de campagne dans la Péninsule. C’est de là (et peut-être n’y avez-vous jamais songé), c’est de là que vient le proverbe : bâtir des châteaux en Espagne, c’est-à-dire rêver l’impossible, supposer ce qui n’existe pas ; c’est l’équivalent de construire un palais dans les airs, ou de prendre la lune avec les dents. Jamais, dans le cerveau d’un Espagnol, n’est entrée l’idée de vivre aux champs, de mener l’existence d’un chasseur ou d’un propriétaire, de