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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/778

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dans une boîte, où je ne pouvais me défendre comme un véritable imbécile. Je m’effaçai de mon mieux dans mon coin, de façon à être un peu garanti des balles par les panneaux de la voiture, et j’attendis les deux détonations… Ce fut en vain ; ô honte ! ô ridicule rencontre ! Les six cavaliers étaient des gendarmes postés sur la route pour nous protéger. Allez donc chercher de la poésie dans un pareil pays !

Je m’endormis un peu mortifié, pour me réveiller le lendemain dans les environs de Cordoue. Je vous dirai peu de choses de Cordoue, par la bonne raison qu’il faudrait, pour parler dignement de cette ville lui consacrer tout un volume, et que ce volume a été écrit plus d’une fois. Bornez-vous à savoir qu’à mon avis, Cordoue est la ville la plus orientale d’Europe. À la vue de la plaine jaunie où elle est assise, des montagnes bleues qui l’enserrent d’un côté, des remparts dorés par le soleil, des tours crénelées, des palmiers magnifiques qui se découpent sur le ciel éclatant, des sveltes minarets qui se dressent de toutes parts, on rêve à l’Orient, et l’on peut, sans un grand effort, se croire dans le pays des Mores, du temps que les Mores avaient du génie. — Ecija est la dernière station avant Séville. Cette petite ville, qu’on surnomme la chaudière de l’Andalousie, justifiait à merveille sa qualification le soir où j’y arrivai ; il y faisait une température de four à chaux. Pas un souffle n’agitait l’air, on avait grand’ peine à respirer, les arbustes immobiles semblaient pétrifiés ; mais Ecija n’en est pas moins une ville charmante. J’ai senti là, pour la première fois, qu’on pouvait vanter l’Andalousie sans mentir. Pourtant je fais encore mes réserves : en Andalousie, je le déclare, il faut oublier la campagne. Elle n’existe pas. En donnant à ce pays un beau ciel, une terre fertile, la nature s’est dispensée de lui accorder une physionomie pittoresque. C’est dans les villes qu’il faut voir l’Espagne, et c’est dans l’intérieur des maisons qu’il faut voir les villes.

Dans la soirée, comme je me promenais dans la Calle de Caballero, je m’arrêtai charmé devant une de ces grilles de fer merveilleusement travaillées qui servent d’entrée aux maisons andalouses. La grille me fut ouverte aussitôt avec cette exquise et simple politesse qu’on ne trouve à ce degré dans aucun autre pays. J’entrai dans une cour intérieure, dans un patio plein de marbres, de fleurs, de verdure, rempli d’un air tiède et rafraîchi par un jet d’eau qui retombait en grésillant dans son bassin. Une colonnade moresque séparait le patio d’une galerie couverte parée et revêtue de faïences bleues. Sous cette colonnade j’apercevais par les portes entr’ouvertes de jolies chambres tapissées de sparteries, parfumées suivant l’usage andalou. C’était un rêve réalisé. Dans ces jolies maisons, perdues au milieu d’une ville paisible et silencieuse, où l’on vit pour vivre, sans s’inquiéter du reste du monde, quelle existence divine on pourrait mener ! Pour compléter le