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cepté le comte de Kerlandec et le chevalier de Barbanpré, à qui M. Levrault ne pardonnait pas d’avoir servi de compères à Gaspard, toute la noblesse des environs avait été conviée et s’était empressée d’accourir, pour observer l’attitude des La Rochelandier et en faire des gorges chaudes. L’humeur altière de la marquise était bien connue dans le pays ; on devinait sans peine tout ce qu’elle avait dû souffrir avant de se résigner à l’humiliation d’une pareille mésalliance. En flairant de près les millions de l’ancien marchand de drap, hobereaux et douairières comprirent qu’enveloppée dans un miel si doux, la pilule la plus amère vaut un bonbon du jour de l’an ; s’ils s’obstinèrent à rire, c’est qu’ils cherchaient à se consoler. Il n’en était pas un qui n’eût voulu se sentir dans la peau du jeune marquis, pas une qui n’enviât secrètement la mère de Gaston : tous auraient avalé le calice sans sourciller. La marquise, d’ailleurs, n’avait jamais porté si haut la tête, jamais elle n’avait montré à ses amis et à ses ennemis un visage plus radieux ou plus fier ; il est permis de supposer que le diable n’y perdit rien. Ce ne furent, pendant huit jours, que bals, festins, parties de chasse. M. Levrault courut un cerf avec le marquis, son gendre. Galaor, qui, par un rare privilège, joignait aux grâces de la cigale la prévoyance de la fourmi et s’occupait déjà de ses provisions d’hiver, ne cessa point, durant ces huit jours, de rôder autour de la Trélade et chipa plus d’un bon morceau, tandis que le chevalier de Barbanpré, assis tristement à une fenêtre de son petit castel, regardait d’un œil mélancolique, à travers le feuillage éclairci, l’Éden d’où il était exilé, où l’on faisait de si bons dîners. Donnons un souvenir à notre ami Gaspard. Victime d’une législation dont tous les débiteurs s’accordent à reconnaître les abus, Gaspard expiait dans les fers quelques étourderies de jeunesse, et charmait les ennuis de sa captivité en combinant de nouveaux coups de bouillotte et de lansquenet. Quant à maître Jolibois, ses trahisons et ses perfidies venaient de recevoir leur juste récompense : non-seulement il n’avait pas rédigé le contrat, mais encore M. Levrault, qui se défiait de lui depuis leur dernière entrevue et ne voulait plus d’un sans-culotte dans sa maison, ne l’avait pas invité à la noce et s’était contenté de lui adresser un billet de part. Le malheureux ne prévoyait pas la vengeance que maître Jolibois tirerait plus tard de ce procédé peu chevaleresque.

Pour peu qu’on ait su lire dans le cœur de nos personnages, on ne se berce pas du fol espoir que Laure et Gaston vont savourer à la Trélade les douceurs de la lune de miel. La saison était belle pourtant. Septembre s’achevait à peine ; octobre n’avait encore dépouillé ni les haies ni les bois. Les oiseaux chantaient comme au printemps et se poursuivaient dans la lande. Les bruyères étaient en fleurs ; la colchique étoilait les prés ; sur la marge des sentiers, l’or des ajoncs commençait