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— Entre nous, mon ami, vous le savez bien, il ne peut être question de reconnaissance ni de remerciement. Ce que j’ai fait pour vous, je l’ai fait avec bonheur. Bientôt, je l’espère, vous lirez en rentrant chez vous : Hôtel Levrault de La Rochelandier. J’en ai touché deux mots au garde des sceaux, et je crois pouvoir vous promettre qu’il vous sera permis d’ajouter à votre nom le nom de votre gendre.

— Mon nom, madame la marquise, mon nom, tel qu’il est, me suffit, répliqua M. Levrault en relevant la tête avec orgueil. Je n’ai pas de blason, mes aïeux n’étaient pas aux croisades ; mais, par mes travaux, par mon génie, j’ai enrichi mon pays, cette gloire en vaut bien une autre. Au reste, ajouta-t-il d’une voix plus calme, comme un homme satisfait de la réparation qu’il vient de s’accorder lui-même, l’inscription que j’ai lue tout à l’heure ne m’a rien appris ; madame la marquise, vous régnez ici en maîtresse absolue.

— Est-ce un reproche, monsieur ?

— C’est la vérité. Je ne m’abuse pas sur le rôle que vous m’avez fait, et je suis bien aise de vous le dire. Les convives qui s’asseoient à ma table, qui les choisit ? qui les invite ? N’est-ce pas vous ? Qui peuple mes salons ? N’est-ce pas votre seul caprice ?

— Mon ami, vous êtes un ingrat, répliqua la marquise avec une angélique douceur. Qu’attendiez-vous donc de moi en m’appelant auprès de vous ? Je vivais en paix dans mon château, au fond de ma vallée. Pour vous, je me suis décidée à rentrer dans le monde. Pour vous, pour vous seul, j’ai sacrifié mes goûts de retraite et de solitude. Depuis trois mois, pour vous plaire, je vis au milieu du bruit et des fêtes. Votre bonheur est mon seul souci, l’éclat de votre maison ma seule préoccupation. De quoi vous plaignez-vous ? N’ai-je pas réuni dans vos salons l’élite de la noblesse ?

— Oui, sans doute, madame la marquise. Votre parti, j’en conviens, est parfaitement représenté dans mon salon ; mais le mien ? mais la bourgeoisie ? Ne suis-je pas, chez moi, seul de mon opinion ? Vraiment, j’en entends de belles ! S’entretient-on de la nouvelle dynastie, c’est à qui donnera son coup de langue. Vos amis ne se gênent guère pour dire ce qu’ils pensent ; bien sot ou bien fou serait celui qui se méprendrait sur leurs vœux et leurs espérances. Vous me parliez, à la Trélade, de rapprocher, de réconcilier la noblesse et la bourgeoisie. On s’y prend, parbleu ! d’une étrange manière. Est-ce en glorifiant le passé, en insultant le présent, que vous comptez accomplir notre projet de fusion et de ralliement ?

— Dans l’accomplissement de notre projet, ne l’oubliez pas, mon ami, chacun de nous avait sa tâche. La mienne est remplie, la vôtre commence. Je m’étais engagée à réunir chez vous l’aristocratie ; n’ai-je pas tenu parole ? C’est à vous maintenant d’appeler la classe bourgeoise. Qui vous arrête ? Allons, mettons en présence bourgeoisie et noblesse ;