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ce matin même, j’ai vu votre fils, je lui ai posé nettement la question. L’intention que vous lui prêtiez, il ne l’a jamais eue. Il n’a rien fait, rien dit pour vous abuser. Vous n’ignorez pas ce qu’il veut, ce qu’il pense. Je sais maintenant ce que valent vos belles paroles. Vous périssiez d’ennui dans votre château en ruine. Pour relever votre maison, pour rentrer dans le monde, vous vous êtes abaissée jusqu’à courtiser, jusqu’à encenser le roturier que vous dédaignez à cette heure. Je hais votre parti, je n’en ai jamais fait mystère. J’ai toujours détesté votre caste ; entre les Levrault et M. de Chambord, rien de commun ne saurait exister. Si vous ne m’aviez pas dit, si je n’avais pas cru que votre fils se rallierait un jour, je ne lui aurais pas donné ma fille et le tiers de ma fortune. Je me fiais à votre loyauté, et vous m’avez indignement trompé.

Tandis que M. Levrault prononçait ces derniers mots, Gaston, qui venait d’entrer, se tenait debout à la porte du salon, pâle, immobile et muet. La marquise allait répliquer ; en apercevant son fils, elle demeura interdite.

— Ma mère, dit froidement Gaston après s’être avancé vers elle, je comprends tout : vous avez trafiqué de mon nom. Mieux eût valu cent fois accepter notre pauvreté, ou me permettre, m’enseigner le travail pour relever notre fortune. Vous avez passé un marché que je n’ai pas signé, mais que je tiendrai pourtant.

Puis, se tournant vers M. Levrault :

— Soyez satisfait, monsieur, nous irons à la cour.

Et Gaston se retira sans ajouter une parole, laissant la marquise atterrée, M. Levrault ivre de bonheur.


XIV.

Huit jours après la scène que nous venons de raconter, Laure préparait sa toilette de cour. M. Levrault, qui ne doutait pas que sa présentation ne suivît de près celle de son gendre, avait commandé un magnifique habit à la française. Il était bien décidé à ne se montrer au roi qu’en culotte courte, avec l’épée à poignée d’acier. La famille royale venait d’être cruellement éprouvée, et Gaston n’attendait, pour se présenter aux Tuileries, que la fin du grand deuil. Vainement la marquise l’avait menacé de sa malédiction, il était demeuré sourd à toutes les remontrances, inébranlable dans sa résolution. Furieuse, humiliée, prise dans ses propres filets, elle s’était retirée dans son appartement et ne paraissait plus même aux heures des repas. L’hôtel Levrault, naguère si bruyant, si animé, était devenu morne et presque désert. Plus de fêtes, plus de visites. Cependant le grand industriel nageait dans la joie, il étendait déjà la main pour saisir la pairie et son brevet de comte. Chaque jour, il travaillait avec délices à la com-