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Si nous voulions poursuivre jusqu’au bout notre théorie du personnalisme appliqué au théâtre moderne, nous le retrouverions encore dans le drame de M. Gozlan et dans la Bohême de M. Mürger. M. Gozlan possède un talent original, une individualité fort tranchée qu’il s’occupe peu de dissimuler lorsqu’il a à faire parler ou agir des personnages dramatiques. Grande dame et fille du peuple, escroc et homme du monde, tous ses héros ont un langage paradoxal, recherché, ciselé, aux arêtes vives et saillantes, que l’on sent être le style habituel de l’ingénieux écrivain. Nous ferons un autre reproche à son drame de la Jeunesse dorée : c’est qu’il ment à son titre ; au lieu d’aborder hardiment et de front un sujet si réellement pris dans le vif de nos mœurs modernes, il ne nous donne qu’une série de romanesques aventures où l’on reconnaît les fâcheux résultats de l’association d’un esprit distingué, inventif, oseur, avec un dramaturge d’une habileté vulgaire. Certes il y avait un drame bien vrai, bien actuel à écrire avec la jeunesse dorée comme avec la Bohême, qui l’avoisine en maints endroits et parfois s’y entremêle. M. Gozlan n’a fait que côtoyer la première ; M. Mürger a-t-il tiré meilleur parti de la seconde ? En apportant ses impressions personnelles dans son premier ouvrage de théâtre, en déteignant sur ses héros, en leur donnant tout ce qu’il a de verve, de fantaisie, d’humour, d’heureux hasards d’imagination et de jeunesse, a-t-il trouvé dans cette familiarité intime avec le sujet et les incidens de sa pièce des élémens de vie et de succès durable ? Nous ne le croyons pas ; tout se borne pour cette fois à quelques causeries, brillantes, à quelques séances de bohêmes civilisés, plus riches de saillies que d’argent, transportées avec entrain de la mansarde dans le feuilleton, et du feuilleton sur la scène. Aussi en est-il un peu de cette pièce connue des mœurs qu’elle retrace : il y a beaucoup d’esprit, mais rien n’y tient ; on y meurt d’inanition entre deux bons mots ; on y passe son temps à courir après le superflu en manquant du nécessaire ; la broderie est charmante ; il ne s’agit plus que de la coudre à l’étoffe ; par malheur, l’étoffe n’existe pas. Et puis quelle étourderie d’avoir voulu mêler à la peinture de cette bohème que l’on connaît si bien une esquisse de ce monde que l’on connaît si peu ! quelle inconséquence, chez un fantaisiste, d’opposer une millième fois la grisette à la grande dame, d’humilier la coquetterie de l’une devant le dévouement de l’autre, de recommencer l’éternelle histoire de la consomption et du suicide par amour ! J’attendais mieux de M. Mürger, j’espérais quelque chose d’entièrement jeune, de tout-à-fait original de ce talent original et jeune, et je m’aperçois que sa muse me chante, sur un moins joli air et d’une voix moins délicate, la chanson de Bernerette. Bernerette ! voilà la fraîcheur, voilà la grace, voilà les enchantemens de la pauvreté amoureuse, de la jeunesse rayonnante de poésie et d’espérance ! Si M. de Musset est déjà un ancien, tant pis pour les jeunes ! ils ne font pas autrement que lui, et ils ne font pas aussi bien.

N’importe ! il y a quelque chose de si attrayant et de si aimable, même dans un semblant de jeunesse, de mouvement et de nouveauté ; il y a tant de charmes pour nos esprits fatigués d’agitation et de tristesse dans ce tableau de gaieté et l’insouciance, dans ce premier sourire de la vie à vingt ans, dans cette Impression de voyage à travers un pays bizarre dont tout le monde parle et que peu de gens connaissent, que l’on a accueilli cette Vie de Bohême avec une curiosité bienveillante ; quelques mots heureux ont fait le reste, et le tout a