Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/959

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réunir sous leurs yeux, dans le petit espace que la mer leur dispute, les richesses éparses sur la vaste étendue des continens. Aussi, avec quelle attention ils les cultivent ! Comme ils soignent ces arbustes qu’il a fallu acclimater et défendre contre le vent de la tempête ! Ces travaux, cette sollicitude de tous les instans, attachent l’habitant au sol qu’il embellit. Les abords de la maison sont d’une propreté irréprochable ; pas une feuille morte dans les allées, pas une tache de boue sur le seuil de la porte. Chacun fait de son mieux pour donner au lieu qu’il a choisi un aspect riant, une tournure avenante. Grande ou petite, chacune de ces demeures forme un tout complet et présente l’image d’une existence réglée. Au lieu de copier son voisin, chaque habitant se plaît à faire à sa guise, à orner son logis d’après son inspiration, à l’approprier à ses goûts et à sa fortune. Chacun inscrit sur le mur de la maison qu’il a bâtie le nom qui lui convient ; c’est comme un baptême, une consécration, qui rappelle un souvenir. L’officier retiré du service choisira le nom d’une batille où il a conquis son dernier grade ; le marin, celui d’une plage lointaine où il a le plus souvent guidé son navire ; tel autre, qui a quitté son pays pour habiter cette île où la vie est plus libre et plus facile, placera sur sa porte quelque douce appellation de la patrie. La plupart de ceux qui s’établissent dans ces fraîches villas y apportent l’expérience des voyages lointains et cherchent à y réaliser des rêves de bonheur et de bien-être formés ailleurs, durant les années de travail et d’agitation. Ils emploient donc tous leurs soins à disposer d’une façon convenable la demeure qui sera pour eux non un asile de passage propre à faire naître l’ennui, mais la halte désirée et le sanctuaire de la famille. Aussi voit-on partout régner l’ordre, que l’on rencontre si rarement chez nous, l’ordre, cette qualité précieuse qui entretient la paix qui est comme la menue monnaie de la sagesse. En un mot, dans ces retraites si attrayantes et si proprement rangées, on sait vivre, et c’est là le grand art de la race anglo-normande. Je n’ignore pas que des esprits turbulens, enclins à troubler la paix d’autrui, appellent cet art du nom d’égoïsme ; ils condamnent cette quiétude du foyer domestique parce que, poussée à l’excès, elle peut engendrer la torpeur de l’ame. Hélas ! l’égoïsme est un vice de la nature humaine qui se cache partout ; il est le fléau de notre société française, qui, assurément, en a pris le germe ailleurs que dans le culte exagéré de la famille, et plût à Dieu que les prétendus grands cœurs épris de ce fatal amour de l’humanité qui brûle tout sur son passage s’éteignissent paisiblement dans ce repos qu’ils ne savent pas apprécier !

Ces villas et ces cottages ; nous le répétons, ne sont point les maisons de plaisance des riches de la ville ; elles sont la véritable, l’unique habitation de familles qui, pour un temps plus ou moins long, pour toujours se retirent du tumulte des grandes cités. L’endroit leur a plu, et