Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/1013

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
1007
BELLAH.

— Emmène-moi, emmène-moi d’ici ! s’écria Andrée.

Hervé la fit asseoir près de lui, et lui prit la main : — Temraener, chère enfant ? Où ? Dans un camp, dans une prison ?

— N’importe, mon frère ; je ne puis rester sous un toit d’où l’on vous a repoussé avec insulte.

— Mais vous vous trompez ; on m’a simplement traité en ennemi, comme je le suis en effet. Il est naturel que le bruit vrai ou faux de la mort du jeune prétendant ait exaspéré M. de Kergant jusqu’à lui faire oublier toute dignité.

— Vous ne voulez pas m’emmener, Hervé ? dit Andrée d’une voix tendre comme une caresse.

— Tant que je n’ai pas un asile sûr et honorable à vous offrir, mon enfant, je dois vous laisser dans celui que notre père vous a choisi, — Hervé se leva en achevant ces mots. — Il faut nous séparer, ajouta-t-il ; je ne veux pas laisser le temps à nos soldats de concevoir la pensée que je les abandonne.

—Nous séparer ! répéta Andrée… Ne nous sommes-nous revus que pour nous séparer si tôt et de cette manière ?…

— Je vous promets, Andrée, de ne point partir demain sans vous avoir revue.

Andrée lui fit répéter cette promesse, et Hervé, après l’avoir serrée sur son cœur, se détourna brusquement, et se mit à gravir la lande en courant.

La pente de la lande était trop raide, et l’herbe qui la recouvrait trop glissante pour qu’il fût prudent de l’escalader en ligne droite. Même dans les agiles excursions de son enfance, Hervé avait coutume de suivre, pour arriver sur le haut, un petit sentier, dont les détours couraient entre d’étroites gorges d’un plateau à un autre ; mais les obstacles et les périls qui arrêtent le promeneur de sang-froid sont ignorés ou dédaignés de celui qu’agitent de violens sentimens ou de fortes préoccupations d’esprit ; ils lui offrent même l’avantage d’une âpre distraction, qui, réveillant l’inquiétude des instincts naturels, donne à l’ame l’illusion momentanée du repos par la différence du tourment. Hervé, le cœur torturé, s’était élancé avec une sorte de frénésie sur la rampe la plus âpre de la colline ; vers le milieu de son ascension, ses pieds ne pouvant plus mordre sur l’herbe desséchée, il se mit à genoux, et continua de monter en rampant, contraint souvent, pour ne pas rouler au bas de la lande, de saisir des touffes d’ajoncs épineux qui ensanglantaient ses mains. Francis, attiré sur, le revers de la croupe par le bruit de l’escalade et par la respiration haletante d’Hervé, s’imagina que son ami était en butte à une poursuite acharnée : — Courage ! cria-t-il, vous êtes arrivé… Avons-nous encore des lavandières ? Au nom du ciel, qu’y a-t-il ? — Il n’y.a rien, si ce n’est que j’en perdrai l’esprit, je